Un peuple plutôt que l’ombre d’un peuple

Nous sommes à un tournant de l’histoire de France. Ce n’est pas un moment dans l’histoire de la Ve République ni dans le destin de M. Macron.

Ce n’est pas un moment pour les commentateurs et les journaux.

Le temps de la dissolution est un temps apocalyptique en ce sens qu’il est révélateur.

Ce que ce révélateur laissera apparaître est libre de toute tutelle et de tout influenceur.

Une puissante et effrayante chimie est à l’œuvre. Elle permettra de distinguer si nous sommes un peuple ou l’ombre d’un peuple.

Le président de la République a engagé, et il a eu raison, ce moment de vérité.

Il est coupable de cela. Et si nous, le peuple français, le détestons autant pour cela, il n’est pas impossible que la raison en est que nous avons des raisons de craindre la vérité.

Un peuple ou l’ombre d’un peuple ? Le portrait final que va dégager la dissolution est distinct de notre volonté. Il couvre la perspective qu’il veut. Il n’appartient déjà plus à ce qu’il est possible de dire de ce que furent, sont et seront les événements.


On peut invoquer le front populaire ou la révolution nationale qu’on veut, le processus qui s’accomplit, sous nos yeux, dessinera in fine les traits exacts du peuple qu’il rencontre, pas du peuple tel qu’il se rêve ou s’innocente.

Ce serait trop facile.

Ce n’est pas exactement pour nous rassurer, mais le même phénomène regarde l’Amérique. Au même moment, deux démocraties essentielles connaissent et sont conduites, comme à l’échafaud, vers le même moment de vérité.
La coïncidence est frappante.

Un peuple plutôt que l’ombre d’un peuple. La France doit être libérée d’un jeu de rôle partisan qui est devenu tellement contreproductif que le désordre, la violence et le mensonge le dominent, le guident, au détriment des Français.

Il y a quelque chose qui sera difficile de pardonner aux partis politiques, c’est d’avoir laissé se mettre en place, plutôt que les conditions d’un langage de vérité, une bulle rhétorique, où l’on apprend à mentir comme on respire.

Elle favorise démagogie et surenchère.

La façon de faire de la politique qui a été notre pratique au cours de plus d’un demi-siècle a enfermé le peuple à l’intérieur de cette bulle.

Nous n’avons pas à nous étonner si le krak démocratique nous menace aujourd’hui.
De spéculation en spéculation, la bulle a grossi et elle est prête à éclater.

Ce faisant, et c’est cela qui est au centre de la peur, elle ne sanctionne rien d’autre que le rapport collectif au réel que nous avons établi.
Et de cela nous ne sommes pas les prisonniers, nous pouvons le renverser.

Il faut être conscient que ce rapport au réel, dans tout ce qu’il regarde, est brouillé.

Le peuple que nous formons n’est ni de droite ni de gauche ni du centre ni des extrêmes.

Il est libre. Il ne doit rien aux idéologies, rien aux idéologues, tacticiens, aux flambeurs et beaux parleurs.

Un peuple plutôt que l’ombre d’un peuple. C’est toujours ce choix qui s’offre à nous dans les moments d’histoire.
Nous sommes toujours le même peuple face à l’éternel dilemme.
Le dilemme vient toujours à nous sous diverses formes. Il faut reconnaître que jamais il n’a été si inventif, profus et tentaculaire.
Mais le peuple, partout, tout le temps, est le même. C’est ce qui peut désespérer et, en même temps, être la source du plus grand espoir.

La démocratie n’enlève rien à la lucidité, à ce recul sur soi-même, que le peuple se doit. Il est le souverain qu’il veut.

Si le peuple que nous formons est un peuple qui ouvre les yeux, il peut accéder à une souveraineté inédite et imposer sa loi à un système politique moribond.

Il peut réaffirmer comment s’appelle et à quelle hauteur se situe sa volonté, sa détermination, sa justice.
Il peut aussi abandonner cela au concours de bassesses qui a abouti à désarmer la République et à en faire quelque chose dont le champ se limite à accorder des prébendes sur des retraites et des illusions sur le pouvoir d’achat, et plus haut encore, à un malentendu foudroyant sur qui nous sommes.

Il ne produit donc pas le langage de vie qui unit et élève les citoyens, quels qu’ils soient, ne fût-ce que par un seul de leurs atomes, dans la plus haute dignité politique, celle de l’ordinaire de ce que chacun peut attendre de l’autre, à commencer par l’élève du professeur et le professeur de l’élève.
Il faut que des mots intelligents pleuvent sur l’école, sur le collège, sur les lycées, sur l’université et lavent le sol et les murs des mots et inepties qui n’ont rien à y faire.

La séparation, le séparatisme, vient de là.

Ils ont rendu la République si faible qu’un imam pourri ou un dealer avide est capable d’exercer son emprise sur presque n’importe quel gosse à la dérive et qu’un fouet à chimères dans les mains de n’importe qui croit pouvoir dompter la République.

Ce système ne se survit à lui-même que par la démagogie, le transfert de la détestation de parti à parti, de figure à figure. Que par le mirage des alternances et l’ingéniosité du marketing politique.
Ce n’est pas cela qui féconde l’âme de la France et lui fait de splendides enfants, produits de la diversité et qui fait rêver au point de sortir des gens du désœuvrement comme de la perpétuelle doléance.
Si nous voulons une jeunesse prête à soulever des montagnes, il ne faut pas lui dire que ses jambes ne lui permettent pas de porter son propre poids et qu’elles ne servent qu’à tourner en rond dans une République des pas perdus.

La clé du pouvoir d’achat n’ouvre rien.

Il est attendu du politique qu’il libère le peuple des impasses dialectiques et qu’il favorise le dialogue, l’intelligence de la délibération.

C’est ce qui attendu et c’est le contraire qu’il produit

Dans la culture démocratique que nous avons d’autant plus laissé s’installer qu’elle nous caresse dans le sens du poil, les partis politiques triangulent leurs positions, selon la sensibilité de l’opinion.
C’est un problème d’aire géométrique et de surfaces épidermiques.
L’opinion est une tragédie pour la démocratie.

On dirait qu’un vaste sonar poursuit la forme du peuple comme un chalutier poursuit son banc de poissons.

Nous ne sommes plus qu’un banc de thons poursuivi par de grands thoniers et des petits chaluts.

Le peuple ou la mémoire du peuple. J’avais envie de vous dire que nous ne tolèrerions pas si quelqu’un voulait, par d’habiles subterfuges, que nous soumettions l’histoire ou encore la stabilité de nos mœurs, au même joug.

Mais nous savons que ce n’est pas vrai. Le wokisme et l’indigénisme travaillent déjà cette matière. Il édulcore d’abord. Il donne une figure, la plus haïssable possible, à haïr. Puis il démolit.
#Metoo est une abomination, une parfaite abomination qui autoréalise un projet idéologique qui nous éloigne de la justice des humains en procurant une forme plaisante et souhaitable à la vindicte populaire et au lynchage collectif. Le clavier de cette opération n’aligne que de touches perverses.

Le mémoriel comme la réalité biologique du genre sont déjà dans le collimateur. L’état de droit sera passé à cette moulinette et, finalement, cela avalera la Constitution de la Ve République qui repose sur le postulat que l’équilibre des vertus et des discernements tient la baraque et que le président en est la clé de voute et le garant.

Le peuple ou l’ombre du peuple ? Ce qui se passe n’est pas une crise de régime. C’est une crise du peuple à travers une crise de son système politico-médiatique fait de postures et d’impostures. Le malaise est croissant dans la société parce que le cumul des mensonges ou demi-vérités est devenu intenable.

Nous mourrons, et nous ne faisons plus autant d’enfants que nécessaire parce que le théâtre politique, qui est le théâtre donne du sens à nos vies, est vide et nous prive de la confiance vitale. Il ne nous désaltère plus. Au contraire, il assèche en nous toute humanité.

Nous cherchons le bouc-émissaire.

Le seul bouc-émissaire, c’est nous.

Un peuple ou l’ombre d’un peuple. Ne croyons pas que le reste de l’Europe nous envie, tandis que notre dette augmente et que notre crédit diminue, une quelconque créativité politique.

Le placement de la France en procédure pour déficit excessif par la Commission européenne est un signal des plus sérieux.

Il sonne le tocsin au peuple qui ne veut n’entendre que le chant des sirènes auxquelles il est sensible.

La Politique, c’est autre chose. La politique ne peut pas être au service du peuple si elle n’est pas intransigeante avec l’obligation de la responsabilité.

Tout le monde a compris que les bonnes grâces électorales du peuple ne s’obtiennent plus qu’en lui tendant le miroir le plus flatteur. Alors tout le monde le flatte.

Au risque de manquer à l’unanimisme merveilleux qui règne parmi nous, le peuple que nous formons n’en est pas arrivé là où il en est, sans avoir suivi, depuis des décennies, le mauvais fil d’ariane.

Le mauvais fil d’ariane n’est pas le fil qui nous permet de sortir libre du labyrinthe, c’est le fil qui nous empêche d’en sortir.

C’est le moment, aujourd’hui, de réclamer et de choisir, surtout, parmi tous ceux qui nous sont proposés, le fil d’ariane qui nous sort du labyrinthe.

Il y a une histoire des moments de lucidité, ou le plus souvent de la perte de lucidité, dans l’histoire tout court. Les moments au cours desquels un peuple perd sa lucidité, le fil de lui-même, accouchent de drames et de tragédies.

Est-ce que nous sommes encore capables de comprendre le potentiel que cristallise un tel moment quand ce cycle rencontre le cycle des périls imminents.

L’isoloir n’est pas quelques barres métalliques avec de la toile. L’isoloir, ce sont les grands mythes et la manière dont ils parlent encore avec notre conscience.

L’espoir n’est pas mécanique.
L’espoir n’est pas organique.
L’espoir est celui des forces qui dorment et qui ne se réveilleront peut-être pas.
Ce moment peut voir le Phoenix renaître de ses cendres.
Il peut voir le peuple carbonisé renaître d’une démocratie épuisée.
Ce n’est pas le pari que les bookmakers ont enregistré.
Ce n’est pas le pari que nos ennemis font.
Ils pensent la France morte et enterrée.

Mais notre destin n’appartient pas à nos ennemis.
Il est le réveil de ce que nous sommes.
Ce miracle est entre nos mains.
Il faut avoir à l’esprit qu’il est important pour l’histoire du monde de montrer au monde si et comment nous sommes capables, grâce à une République qui est montée au ciel, de nous résoudre nous-mêmes.

Cet instant démocratique, dépouillé des artifices et gestes de campagne, s’inscrit dans cette petite équation à autant d’inconnues que de citoyens.
Personne, jusqu’ici, ne l’a résolue.

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