Du bonheur inestimable de pouvoir injurier l’avenir

Quelle est donc la vocation d’un budget sinon de fortifier plutôt qu’épuiser l’état d’une nation et de lui permettre ainsi de satisfaire à ses besoins, ses ambitions, et d’accroître la richesse produite par l’ensemble des citoyens qui va mesurer, à travers le PIB, la vitalité du système économique, et l’adéquation de la culture, de la politique fiscale, à cet objectif?

Toutes les matières du savoir, fondamentales ou appliquées, participent à l’essor économique dans leurs explorations et approfondissement, y compris les sciences humaines, qui, si elles demeurent ce qu’elles doivent être, fournissent un sens moral à cette effort de construction, d’amélioration, sans cesse renouvelé et dont le but est le bien commun et l’attachement à ce qui génère la dynamique et la cohésion collective ainsi que le rayonnement de nos valeurs.

Pendant des années, sinon des décennies, les gouvernements successifs en France ont laissé un déficit chronique s’installer, sans jamais oser s’attaquer durablement et en profondeur, ni parfois – en raison des lois pernicieuses de l’alternance démocratique – disposer des moyens politiques pour le faire, aux raisons auxquelles a été sacrifié l’orthodoxie financière qui exigerait que le recours au déficit ne puisse être acceptable qu’à circonstances exceptionnelles.

C’est l’inverse que notre pays connaît. L’exceptionnel, désormais, ce n’est pas un budget à l’équilibre pour lequel il faut remonter à plusieurs décennies (1974) pour en retrouver un, mais simplement un budget dans les clous du 3% de déficit, limite, pourtant, que nous nous sommes imposés dans le cadre du pacte de stabilité européen.
Cette règle, qui constitue une glissière de sécurité budgétaire pour éviter de partir dans le ravin et que nous sommes imposés, nous reprochons à Maastricht de nous l’avoir imposée et cela forme aux yeux de nombre d’entre nous, une insoutenable atteinte à notre souveraineté.

Les budgets sont des témoins de nos impérities ou de nos vertus.
De ce point de vue, les budgets de ces trente dernières années, à quelques rares exceptions, au cours desquels la droite républicaine a osé des économies budgétaires et quelques réformes, sont des témoins à charge pour le peuple français qui se laisse toujours, dans la difficulté, séduire par les chants des sirènes qui, probablement passeront de la nature socialiste à la nature – paradoxale du point de vue des antécédents idéologiques mais compréhensible du point de vue de la conquête du pouvoir – à laquelle Marine Le Pen a conduit la doctrine de son mouvement.

Nous ne tarderons pas, sur cette voie, à faire mentir l’adage selon lequel la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres, car une démocratie dépourvue d’intelligence, de sens du devoir partagé, une démocratie telle qu’elle se présente, aujourd’hui, c’est à dire superficielle, lunatique, inconséquente, pulsionnelle, vulnérable, est probablement inadaptée aux enjeux de ce siècle.

Evidemment, ces enjeux et la réalité qui les forme, il est possible de les nier et de les transformer en théâtre de grand guignol et se bidonner derrière les postures et la terminologie dont on pare la réalité. Ainsi, on n’est pas Européen, on devient européiste.

Pourtant, cette nouvelle prospérité
se trouverait, pour autant qu’on
se donne les moyens de la défricher,
à portée de main

Ce travail sémantique est la grande spécialité du Front national. Le vocabulaire employé, son indexation, participent à attiser les pulsions, le rejet et la répulsion au mépris de la réalité, dont il faut rappeler que minimisée, ce que reproche souvent le FN à ses adversaires, elle n’est pas la réalité ce qui ne rend pas service à la nation, mais que si elle est exagérée, elle est tout autant mensongère et elle pervertit la nation.

Derrière tout ce théâtre de grand guignol, il y a pourtant des hommes et des femmes, des enfants, de bonne volonté et de bon courage, que l’on désempare, que l’on livre à la force aberrante de la “narration nationale” à laquelle concourent médias et partis et qui s’écrit elle-même avec la force que nous lui prêtons par notre manque de résolution et de clarté intellectuelles.

Je constate, à la faveur de la venue au pouvoir de Syriza en Grèce, et du discours politique ambiant, combien nos compatriotes, et souvent leurs élites politiques de référence, s’accordent des facilités pour envisager de faire sauter les faibles verrous qui tiennent encore la discipline budgétaire, comme si les déséquilibres d’un budget – dans la destination de dépenses comme dans l’origine des recettes – n’avaient pas un impact immédiat et redoutable sur la vie quotidienne et comme si les déficits, cumulés – aujourd’hui supérieurs à 2000 milliards d’euros – n’allaient pas plomber les générations futures. Sauf à trouver le moyen et l’instrument d’une nouvelle prospérité, c’est ce qui pend au nez de nos enfants.

Pourtant, cette nouvelle prospérité se trouverait, pour autant qu’on se donne les moyens de la défricher, à portée de main, et elle est incontestable si l’on admet les besoins primaires et secondaires dont des milliards d’habitants sur notre planète exigeront qu’ils soient, mieux qu’ils ne sont aujourd’hui, satisfaits.
Ce ne sont pas des niches de croissance qu’il y a à mettre en évidence là, mais l’essentiel de la planète entière.
On peut bien sûr ériger un mur et nier, à divers titres, l’existence de ces êtres humains et la nécessité de leur développement.

Cette situation de déni devant la réalité du monde nous expose à ce qui est la terreur des navigateurs, une vague scélérate, dont on ignore comment et par quelles forces elle se lève et brise tout ce qui peut se présenter devant elle et qui serait de nature à la contrarier.

Le discours de la décroissance connaît, adossé à celui de l’écologie expiatoire, un certain succès.
La décroissance, dans un monde dont on prévoit qu’il compte 9 milliards d’habitants en 2050 et qui en compte aujourd’hui 7 milliards dont l’essentiel vit dans la misère, n’est pas un horizon décent?

En France, la tentation est de considérer qu’il faut s’habituer à une croissance atone, cela au motif que les révolutions technologiques dans l’informatique, la biologie, la robotique, etc, n’ont pas l’impact nécessaire pour développer des besoins de main d’oeuvre comparables à ceux que l’essor industriel ou dans les services ont su générer aux XIXe et XXe siècles, et jusqu’au cours des 30 glorieuses.
Comment peut-on se replier dans un tel discours alors que, je me répète, tant de besoins sont et seront à satisfaire et qu’il y a donc, dans tous les domaines, tant de choses à inventer?

Je redeviens plus terre à terre. Entend-on encore qu’un budget est l’instrument d’une ambition quand on a ramené cet exercice fondamental à une comptabilité publique et que l’on a assigné à cette comptabilité publique une mission qui n’est pas la sienne par nature: financer la paix sociale, financer le statu quo, gérer les fuites en avant du système.

C’est ainsi que le serpent se mord la queue et que la démocratie, pour calmer les incessantes montées d’adrénaline, s’est perfusée, tandis que la République dite sociale en distribuant de la sécurité à l’excès aux uns au prix de la précarité des autres, a créé les conditions d’une insoutenable injustice sociale dans les statuts, les conditions, les avantages respectifs au sein d’un même peuple placé pourtant sous l’égide de l’égalité et de la fraternité.
La seule course qui intéresse désormais nos compatriotes est celle qui leur permettra de se placer du bon côté de la barrière.

Nous arrivons au bout de ce système et c’est heureux, car cela doit permettre à la nation française de redéfinir son ambition et son identité.
Tout le monde le sait, mais chacun en tire diverses conclusion, car l’état moral dans lequel se trouve notre pays favorise la promotion, par les extrêmes, de solutions qui pourraient être pire que le mal puisque inspiratrices de repli et de crispations.

Les partis de pouvoir sont tenus, indifféremment de ce que furent leur ambition, leur programme, les difficultés et conjonctures auxquels ils furent confrontés, pour responsables et le corps électoral, lui, qui avait tout pouvoir de décision pour soutenir les réformes alors qu’elles étaient nécessaires et qui ne l’a pas fait, se réfugiant dans l’idéologie et le déni, est réputé immaculé.
Le peuple, par définition, n’a jamais tort. Mais les définitions valent quoi à l’épreuve des faits et de l’histoire?

Les prochains budgets de la France devraient être identifiables comme des actes de foi, foi dans la capacité de la nation de sortir de l’étau dans lequel elle s’est elle-même enferrée et qui voit le service de la dette constituer la première charge de la nation, foi dans les ressources d’une jeunesse sacrifiée mais qui reste avide de sens et d’utilité dans un monde ouvert, foi dans la capacité de partager le risque dans une société où chacun a tiré, au cours des dernières décennies, sa couverture à soi, exposant les autres au chômage, à la précarité, aux charges insoutenables, appelant le plus d’impôt à résoudre ce qui ne peut l’être par ailleurs.

La France est une puissance qui compte. Elle est à l’origine de l’Europe et a accompagné, soutenu, le développement de la construction européenne, puis de l’Union.
Elle est pourtant, par ailleurs, un adversaire moral et physique à cette construction à laquelle elle s’est ralliée, ces dernières années, à reculons, (Ah les dégâts du fameux et illusoire plan B et le « Non » français au traité européen) avec les conséquences que cela suppose et le sentiment pour nos compatriotes d’être assiégés par une histoire qui les dépasse et dont les citoyens ne se sentent acteurs ni par l’euro ni par les exportations intra-communautaires, leurs produits et services manquant, hors les grands secteurs de leur excellence (CAC40), de compétitivité.

Comment pourrait-il en être autrement quand les Français, loin de réaliser les efforts, en terme de discipline budgétaire et de réformes politiques, qu’ils réclament aux entrants, se cramponnent à leurs privilèges et droits acquis, ne se rendant pas compte que ce qu’ils tiennent pour la proie ce n’est, depuis belle lurette, que l’ombre.

Comment interpréter, sinon comme la marque d’une arrogance démesurée, cette revendication qui consiste à exiger – pour que nous la rallions – une “Europe sociale”, la seule que nous mériterions car elle obligerait tous les peuples et gouvernements à s’aligner sur notre modèle social et que, ainsi – la France fidèle à elle-même – rendrait un service inestimable à l’Europe.

Et si la souveraineté nationale
permettait enfin de voter
en faveur d’un cataclysme

L’Allemagne, pour citer notre partenaire privilégié, est plus modeste. Mais elle a accompli, ce qu’aucune alternance n’a remis en cause, des ajustements douloureux qui font d’elle le seul pilier solide qui tient la maison Europe et qui, parce qu’elle a fait, non sans peine, ce travail sur elle-même, a rendu son économie plus forte et ouverte.

Quel décalage avec la France qui craint toutes les concurrences qui sont perçues, toutes sans exceptions, comme déloyales.

C’est le mouvement de l’avenir que nous refusons de partager, avec ses inconvénients incontestables, mais aussi avec ses perspectives tout aussi incontestables.

Il y a pourtant, en France, en Europe, et dans le monde, une immensité de besoins à satisfaire, à la mesure de la démographie et du monde. Cette somme de besoins, s’ils devaient être évalués du point de vue économique, suffiraient à l’emploi d’une quantité de financement, d’énergie, de savoir-faire, considérables et susceptibles d’amorcer les étapes de la solvabilité, de générer le crédit et la capacité de croissance.

L’Afrique, frappée par tant de fléaux, est en train de réaliser ces mouvements et d’attirer les capitaux pour développer les économies de plusieurs de ses nations. Elle entre dans la modernité, par divers points.

Il y a par ailleurs, des liquidités financières immenses et en circulation, émanant de la Chine, des pays du Golfe, des établissements bancaires, pour ne citer qu’eux, qui peuvent irriguer ces champs et se mettre au service de la construction et à la dynamique de ce nouveau monde, si chacun y met le meilleur dont il est capable, et y délaisse, progressivement, ce qu’il a de pire, l’égoïsme. Si nous ne parvenons pas à nous mettre en ordre pour appeler des tels investissements, alors ne nous plaignons pas que la finance puisse être aussi folle et spéculative que nous.

Permettez-moi de signaler, enfin, l’étrange répugnance que tant d’entre nous éprouvent à l’idée, dans un pays si mal en point, de voir, pour ne citer qu’eux, le Qatar, la Chine, investir ou racheter nos dettes.
Entre une analyse primaire, construite sur un discours xénophobe, nationaliste et anti-capitaliste, et une analyse fondé sur les bienfaits réciproques que peuvent délivrer des investissements et des partenariats, une majorité d’entre nous choisissent de s’en remettre au discours xénophobe et de livrer, par conséquent, les autres qui ne partageraient pas une telle inclination, à cette barbarie, car cela en est une, et ces passerelles, ces collaborations, ces ouvrages, c’est exactement ce à quoi s’opposent les djihadistes, à la différence que leur mobile est expansionniste et le nôtre nombriliste.

Et si la souveraineté nationale permettait enfin de voter en faveur d’un cataclysme et d’injurier l’avenir au delà du nôtre?
Ce serait là une victoire de la démocratie?

Bien à vous.

NDR: si ce que j’ai pensé et écrit ne constitue pas, dans ces temps troublés, une contribution utile pour notre nation, j’ignore et je demande pardon pour cet aveuglement, ce que pourrait être une telle contribution.

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