Les heures impossibles de la démocratie russe

Le Figaro rapporte ce jour, 21 février 2015, que « des dizaines de milliers de personnes ont défilé aujourd’hui dans le centre de Moscou pour exprimer leur soutien au président Vladimir Poutine et manifester leur opposition à toute velléité de soulèvement populaire sur le modèle ukrainien ». Mais le soulèvement de type ukrainien a bon dos car il induit que toute contestation de ce qui se passe en Ukraine et des dérives du pouvoir est une trahison à l’égard de la Russie et, par cette seule dialectique, cela autorise la légitimité de la plus sévère des répressions.

La manipulation démocratique à laquelle se livre M. Poutine sur le thème de « Non à Maïdan », assimilant par avance toute amorce de contestation de sa politique au processus ukrainien, impliquant par conséquent l’influence extérieure, est une construction habile en terme de manipulation de masses.

Mais que vaut-elle en face de la réalité des faits et des actes quand c’est la dignité même de la Russie qui est sacrifiée et que, dans un contexte économique qui les asphyxie, il n’est pas impossible que les Russes finissent par désapprouver le mouvement dans lequel leur chef les entraîne?

Ces manifestations programmées par les partisans nationalistes de Vladimir Poutine sont annonciatrices de désordres à venir. Ces gens qui marchent aujourd’hui pour affirmer leur soutien à la politique de Poutine adressent un avertissement explicite à tous ceux qui seraient tenté de lever une voix contradictoire et critique.
On sent parfaitement en poindre toute la violence potentielle.

La démocratie russe, ce qui reste d’elle, s’apprête à vive des heures impossibles, plus impossibles encore que celles auxquelles elle est déjà réduite.

Alors que les accords de Minsk2, obtenus de haute-lutte le 7 février dernier pour entrer en application le 14, ont été à plusieurs reprises déjà violés, et que la semaine de délai prévue pour désengager les forces a surtout permis aux séparatistes d’avancer leurs pions pour avancer et sceller leur conquête jusqu’à la ville de Debaltseve. Les Européens ne cherchent pas ni ne veulent la confrontation directe avec le géant russe, géant dont il faut souligner, cependant, qu’il a les pieds d’argile.

La démocratie russe est en lambeaux et est soumise au joug de Vladimir Poutine. Dans l’espace européen, qui aurait pu accepter le jeu de rôle auquel le nouveau tsar et son premier ministre se sont livrés pour contourner la Constitution et permettre à M. Poutine de conserver et d’accroître sa mainmise sur le pouvoir depuis la chute de Eltsine en 1999?
Cet acte d’autocratie qui serait inacceptable et aurait été dénoncé comme tel dans toute autre démocratie, a été admis et pardonné à M. Poutine car nous lui accordions, sans doute, le bénéfice d’avoir à résoudre les difficultés d’un pays présenté comme gangréné par la corruption et l’oligarchie.
Les purges de M. Poutine sur la nouvelle nomenklatura ont pu paraître justifiées car nous avions, comme pour Hercule nettoyant les écuries d’Augias, de l’indulgence et de la fascination pour le maître du Kremlin.

Aujourd’hui, la situation a changé. Le paradigme, au point d’entraîner rétrospectivement des doutes sur les charges réelles dont ont été accablées certaines personnalités, aussi.
M. Poutine n’est peut-être pas l’homme de force et de vertu en charge de cette mission salutaire, mais un habile stratège qui sait avancer ses pions et qui n’hésite plus à le faire, ainsi que le pressentent et ont pu le vérifier les pays baltes, ou l’Ukraine.
S’il s’attache à rendre la fierté au peuple Russe, il accomplit cette oeuvre en privant d’autres peuples de leur fierté et de leur souveraineté, en les faisant dépendants et asservis, en les soumettant, au nom d’antécédents historiques communs qui n’ont pas toujours été leur sinécure, à la brutalité.

C’est en ayant réussi à accréditer l’image d’un homme destiné à remettre droit sa nation, que M. Poutine a pu, sans trop susciter de réaction locales et extérieures que des protestations isolées, emprisonner les personnalités les plus puissantes, museler toute opposition et toute presse crédibles, et mettre la Russie, qui ne lui compte pas de rival, à sa botte.
Nous sommes donc complices de ce qui s’apparente à une dictature qui déborde d’elle-même, exporte sa tragédie et sa violence, et rencontre sur son chemin, en Ukraine comme cela avait le cas en Georgie, l’Europe démocratique, tenue pour décadente, pour laquelle elle ne semble guère avoir d’estime.

Ce que semble vouloir réaliser la Russie va au delà de la grande Russie. Et cette ambition se dévoile dans les propos de son ministre de la Culture, Vladimir Medinski, au journal « Kommersant »: « La Russie sera peut-être l’un des derniers gardiens de la culture européenne, des valeurs chrétiennes et de la véritable civilisation européenne ».
Je ne doute pas que Vladimir Poutine partage cette vision messianique.

C’est donc un choc entre des ambitions et des natures géopolitiques opposées qui s’annonce entre deux blocs que l’on peut voir séparés, au delà de l’irrésolution apparente de l’un face à la logique brutale de l’autre, par une conception aux antipodes l’une de l’autre quant à ce qui forme la dignité continentale.

Il ne faut pas être dupe du défi auquel la Russie, si elle continue sur ce chemin, nous oblige.

Bien à vous.

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