Le moyen de guerre du djihadisme

La destruction, de pièces archéologiques au musée de Mossoul, il y a quelques jours (NDR: mars 2015), suscite une naturelle indignation.
Ces opérations ne sont pas nouvelles comme en témoigne la destruction des grands bouddhas de pierre de Bâmiyân (Afghanistan), en 2001, par les Talibans. J’ai pu lire, ici et là, que ce processus d’élimination culturelle était à rattacher à la dialectique religieuse du wahhabisme, producteur du refus d’historicité hors de celle de l’islam originel.

Je ne crois pas que nous soyons, pourtant, dans autre chose que de la communication de guerre.
Ce qui a été mis en scène, dans le musée de Moussoul, n’est qu’un énième film de propagande destiné à nous atteindre et à nous maintenir dans la définition qui s’est construite de ces actes et de ce qui les anime, et de nourrir ainsi notre animosité.
Ces statues jetées au sol et attaquées au marteau piqueur ou à la masse sont livrées à nous en images de la barbarie, comme le sont les mises en scènes de la mise à mort de victimes de ce terrorisme.

Il a été dit que certaines pièces de valeur, présentes dans ces musées, avaient été vendues par ces même djihadistes qui n’ont peut-être derrière l’image d’un fanatisme religieux que la réalité d’un cynisme froid et calculateur. Si c’est exact, il y a donc des pièces qui sont monnayées quand d’autres sont utilisées à un usage idéologique et tactique visant à assimiler le wahhabisme doctrinal, consubstantiel et historique à l’Arabie Saoudite, aux effusions de sang, aux destructions, perpétrés par les djihadistes d’aujourd’hui qui ne sont que des imposteurs.

Le fonctionnement du syllogisme a été décrit,
il y a 2400 ans, par Aristote.
C’est le moyen de guerre du djihadisme.
Il faut détruire la construction du syllogisme.

Que cela puisse être contredit par le mouvement de modernisation et d’ouverture de la monarchie incarnée aujourd’hui par le roi Salman n’est pas pris en compte.  Ce mouvement est sans doute insuffisant à nos yeux et les restrictions objectées ne sont pas toujours le fait de raisons rationnelles, puisque s’y applique aussi l’islamophobie, générée justement par le djihadisme qu’a mis en œuvre Al-Qaida et aujourd’hui Daesh.

Daesh, comme Al-Qaida, excellent à nous dire qui détester et nous répondons, docilement, à leurs injonctions.

Il suffit de produire les éléments qui permettent de sceller un syllogisme, entre wahhabisme et terrorisme, entre Islam et Djihad, pour que sa conclusion ait force de réalité pour s’exercer à charge contre l’Arabie Saoudite.

Ce n’est pas que de la casuistique. La conclusion du syllogisme doit être contenue dans la majeure ; la mineure sert à le faire voir. Son fonctionnement a été décrit, il y a 2400 ans, par Aristote. C’est le moyen de guerre du djihadisme. Il faut détruire la construction du syllogisme. C’est le devoir de la civilisation qui est attaquée, niée par lui. De ce point de vue, ce qui est enclenchée est une guerre de civilisation et pas une guerre du choc des civilisations.
C’est au niveau de cette asymétrie que la lutte contre Daesh doit être livrée, ce qui n’exclut pas l’usage de la force qui est légitime quand l’ennemi, comme il le revendique, se place hors de toute humanité et qu’il instrumentalise contre elle ses codes les plus sacrés et les plus universels, et en détourne les ressorts à son avantage.

Quand Daesh détruit des statues et des sanctuaires témoins des civilisations antérieures à la fondation de l’islam alors que le royaume saoudien s’attache à mettre en valeur des vestiges préislamiques ou encore quand le musée du Louvre d’Abou Dhabi s’apprête à ancrer dans le sable de désert une oasis de culture ouverte, avec sa singularité sur son temps et le monde d’aujourd’hui, je suis étonné de voir tant de personnes céder à la facilité et aux injonctions de la communication de Daesh, sans vouloir y voir l’instrumentalisation qui les vise.

Là où le djihadisme voit en l’homme la faiblesse,
qu’on peut atteindre par des procédés cognitifs,
il y a aussi la force d’une dignité

Beaucoup de gens se sont par ailleurs émus de l’acquisition du tableau de Paul Gauguin , il y a quelques semaines (mars 2015). Cette œuvre, intitulée « Quand te maries-tu? », acquise pour le montant de 300 M de dollars, a suscité l’ironie de beaucoup de commentateurs, désirant y voir, comme beaucoup de choses qui se rapportent aux investissements des Qataris, un mariage d’autant plus contre-nature de l’art et de l’argent que cet argent émane d’une pétro-monarchie.

Ce sont sans doute ces mêmes esprits qui œuvrent à assimiler ces Etats à des potentats sournois, dont découlerait le djihadisme, alors que ce même tableau pourrait être, au centre de leur muséographie, ce que représente la Mona Lisa de Vinci pour Le Louvre.
C’est ce que Daesh, Al-Qaida, peu importe le nom qu’ils se donnent et celui qu’on leur attribue, veulent inscrire et cristalliser dans nos esprits. Plus l’horreur et l’émotion qu’elle suscite est grande, parce qu’ils mettent en scène dans des scènes de décapitation dépourvue de toute compassion, de toute humanité, inaccessible à toute imploration de mères, plus ils nous privent collectivement – pour ceux qui en auraient encore la volonté – de la capacité de distinguer la réalité et de conserver du recul par rapport à elle.

Je ne connais pas assez la nature des Syriens, des Irakiens, des Yéménites, tous ces peuples fait d’hommes et de femmes, sur lesquels s’applique le piège immonde de ce djihadisme qui joue sur notre levier comme sur le leur.

Ces procédés de conditionnement ne sont pas les mêmes que ceux utilisés contre nous, et quand ils le sont, ils opèrent aussi sur des individus frustrés, fanatisés aussi, assoiffés d’une revanche sur l’Occident qui n’a pas toujours besoin d’être fondée mais qui trouve toujours à être attisée. Beaucoup d’ingrédients et de ressorts peuvent être appelés pour en déclencher la violence potentielle.

En revanche, plus près d’elles, je vois l’horreur que provoquent ces images parmi nous, dans des sociétés qui ont appris, récemment, à attacher un prix élevé à l’histoire, au point d’avoir élevé un devoir de mémoire et de sauvegarde.

Le djihadisme d’Al-Qaida et de Daesh, comme une araignée au centre de la toile, au sens propre comme au sens de celle du web, tisse son piège qui nous emprisonne les uns et les autres, et nous immobilise davantage à chaque mouvement. C’est un projet hideux qui est à l’œuvre, mais c’est un projet intelligent qui sait pouvoir compter, pour progresser, sur le meilleur allié qui soit, la faiblesse de l’homme dont il suffit d’altérer le discernement pour obtenir qu’il fournisse la réaction que ses ennemis peuvent attendre de lui pour atteindre leurs objectifs.

C’est cet allié qu’il est nécessaire de lui enlever. Il ne s’agit pas de le convertir, mais de le restituer à lui-même.

Là où le djihadisme voit en l’homme la faiblesse, qu’on peut accroître par des procédés cognitifs au point de transformer un être humain en bombe humaine ou en un instrument de mort, il y a aussi la force d’une dignité. Immanente peut-être, comme la notion même de dieu.
Elle n’est d’aucune couleur, d’aucune religion, d’aucune race, particulières.
Elle est l’Homme. Il doit être, particulièrement en l’endroit et dans le temps où il est nié avec méthode, son propre sauveur.

Inch’Allah

Laisser un commentaire