Julian Assange, l’Europe et la zone de libre-échange transatlantique

Depuis la divulgation de fils diplomatiques et de documents militaires sensibles, sur son site Wikileaks, Julian Assange est enfermé dans l’ambassade de l’Equateur, allié stratégique de la Russie, à Londres où il a trouvé asile. La Russie l’a lui a refusé.
Cette situation dure depuis 2012.
Celui que certains considèrent comme le héros moderne de la démocratie s’est exprimé hier sur les ondes d’Europe 1. Il déroule ses accusations sur les Etats-Unis, la NSA et ses considérations sur ce qui, à partir de là, doit s’imposer à la France. Certains considèrent que la France, patrie des droits de l’Homme, s’honorerait à accorder l’asile « diplomatique » au cybermilitant, considéré en 2012 comme la 66é personne la plus puissante du monde.

Dans son interview, Julian Assange déclare que « la France doit encore avoir la capacité d’assurer son indépendance par rapport au reste du monde occidental« . Mais il dénonce la réalité et la vigueur des liens pouvant l’en empêcher: « En pratique, le niveau d’investissement américain en France et inversement, le niveau d’investissement français aux Etats-Unis, les accords d’échange de renseignement ont largement affaibli cette position et cette capacité théorique d’indépendance », explique-t-il.

Ce constat le conduit à considérer qu’il est peut-être déjà trop tard. Il exhorte plus que jamais nos compatriotes et les membres de son réseau, à poursuivre leur action, car « la France a un rôle important pour l’indépendance européenne », au sujet de laquelle il assure qu« aucun citoyen européen, où qu’il se trouve, n’est à l’abri du programme de surveillance des États-Unis. ».

L’interview de M. Assange est donnée le jour où sont entamées dans leur cycle N°8, à Bruxelles, les discussions sur le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement.

Ce traité vise à constituer une zone de libre-échange représentant plus de 45% du PIB mondial.
C’est dire son importance.
C’est dire, aussi, combien la perspective de ce grand marché transatlantique ne peut pas plaire à tous et que son aboutissement nuirait à des intérêts.

Combien d’événements y sont liés?

On justifie généralement la question de l’Otan pour expliquer l’opposition de Poutine au tropisme européen de Kiev, mais ce qu’aurait le plus à craindre la Russie de Poutine, dans son isolationnisme forcené, c’est la réussite de ce round et l’établissement, à partir de ces négociations, de la première zone de libre-échange en importance jamais établie dans l’histoire du monde.

Le reste, tout le reste, y compris les oeuvres de M. Assange, ne sont que de la roupie de sansonnet si on considère l’activité qui pourrait durablement s’installer entre l’Europe et les Etats-Unis, ainsi que celle qui pourrait être induite – si compatible – dans la périphérie de cet espace.

C’est un potentiel de paix et de prospérité qui pourrait s’ouvrir. Ce qui se joue pèse lourd.

Je suis quand même étonné que si peu de personnes s’avisent d’inscrire ces événements, comme l’activisme de M. Assange ou la guerre en Ukraine, dans la perspective de ces négociations et de considérer alors l’intérêt que la Russie, telle qu’elle est aujourd’hui, a de voir ces négociations capoter.

Une Europe déglinguée, flattée dans ses nationalismes divers et variées, est la meilleure Europe que M. Poutine peut souhaiter pour imposer son intérêt.

C’est elle qui prospère.

De la Grèce de M. Tsipras à la France que souhaitent Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, sans compter l’Espagne ou le Portugal qui voient progresser des clones de Siriza tels que Podemos ou les socialistes portugais qui se sont empressés d’accuser le gouvernement de plier sous le diktats de Berlin (source Le Figaro), c’est cette vision flétrie qui s’impose aux esprits comme étant la voie de l’avenir.

Nos compatriotes nationaux et européens devraient être conscients de ce qui se joue peut-être sous leurs yeux, en faisant d’eux des instruments, avides de désillusion, de la défaite de l’Europe.

Dans ce contexte, les déclarations de M. Assange pourraient avoir une intention particulière, en alimentant l’anti-américanisme, la thèse d’un complot – vos ordinateurs sont tous sous surveillance, comme vos communications – de la NSA et en flattant la fibre de l’indépendance.

C’est tellement gros. Mais cela s’apparente à du déjà vu, pour faire référence aux mouvements des pacifistes du temps de la guerre froide, instrumentalisés par l’union soviétique, qui avait fait dire à Mitterrand, avec acuité, « le pacifisme est à l’ouest et les euromissiles à l’Est ».

Nous avons troqué les missiles pour un autre enjeu qui nous entraîne dans un bras de fer, initié par M. Poutine, au risque de déchirer l’Ukraine.

M. Assange est un pacifiste et ses alliés activistes et politiques le sont aussi. Version 3.0. La Russie, de l’autre côté, renoue avec ses vieux démons.
Ces « démons » pourraient avoir une expérience notable en matière de manipulation.
La nier a-priori n’est pas un service à rendre à l’Europe.

Le cavalier de la démocratie et de la transparence tient-il la France pour le maillon faible de l’Europe, la compétence de la négociation relève exclusivement de la Commission Européenne, pour en faire son interlocutrice privilégiée?

Plusieurs députés européens, dont M. Jean-Luc Mélenchon, Parti de Gauche, adepte de Siriza (gauche radicale grecque), ont déjà demandé le gel des négociations.

Jusqu’à présent les chiens aboient et la caravane passe.
Mais les meutes s’organisent et les chiens, encouragés dans leur instinct prédateur, commencent à se transformer en loups.

Dernier point soulevé par les déclarations de M. Assange. Ce dernier a déclaré qu’il estimait que sa vie pouvait être menacée (Source Le Point). Entre les murs de l’ambassade d’Equateur, sa sécurité devrait être assurée.

Elle doit l’être.

Ses propos en font un martyr potentiel sacrifiable au nom de ce qu’il dénonce, pour accréditer justement ce qu’il dénonce, avec des conséquences qui pourraient être dévastatrices pour l’Europe.

Quelques jours après la mort de Boris Nemtsov, opposant – trop peu influent pour le régime en place dit-on, pour justifier une élimination physique – à Poutine, qui avait fait part à ses proches de craindre pour sa vie, c’est au tour de Julian Assange, cette fois opposé à l’Amérique, d’exprimer des craintes analogues et trop exactement diamétrales pour ne pas les apprécier comme telles.

Des personnes sans scrupules y verraient, comme je le vois, une opportunité singulière de faire d’une pierre deux coups. Ou de deux coups, une pierre.

Il faudrait un certain recul sur les choses et une connaissance élevée de la psychologie des masses, comme on dit.

Bien à vous.

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