Moscou aussi exècre la bureaucratie européenne

En désignant ce mardi 10 mars « la bureaucratie européenne » comme responsable des tensions existantes entre l’Union européenne et la Russie , M. Labrov, ministre des Affaires Etrangères de M. Poutine, utilise, à dessein, une sémantique proche des souverainistes, du Front National et de tous ceux qui rejettent, depuis les débuts de sa construction, l’Europe.
« Pour l’instant, il s’avère que la bureaucratie de l’Union européenne à Bruxelles provoque délibérément la confrontation entre la Russie et l’Union européenne », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse commune avec son homologue espagnol Jose Manuel Garcia-Margallo, en visite à Moscou.
Cette phrase est loin d’être anodine et, de fait, elle est inacceptable.
Le conflit mené par les Russes en Ukraine est destiné à punir l’Ukraine, mais surtout, il faut en être conscient, à fracturer l’Europe et faire avorter le projet européen.
Le levier idéal, j’ai eu l’occasion de le dire déjà, consiste à s’appuyer sur les nationalismes, incarnés par un vaste spectre politique qui va du Front National, en France, à Syriza, le parti de la gauche radicale arrivé au pouvoir en Grèce.

Tout cela est à rapprocher, fondamentalement, du Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement qui, lorsqu’il sera constitué, ce qui est souhaitable, isolera économiquement la Russie, qui a fait le choix d’une diplomatie du gaz et des ventes d’armes au détriment d’une économie créative.
Ce partenariat instaurera la première zone de libre-échange planétaire avec 45% de PIB. La commission européenne est seule à l’oeuvre dans ses négociations.
L’enjeu, pour les citoyens européens, c’est de saisir à moyen et long terme l’importance de cet accord pour la prospérité continentale, mais aussi pour notre indépendance et notre sécurité.

M. Poutine, à travers la Russie éternelle, incarne une Europe qui a ses partisans alors que les Etats-Unis d’Amérique seraient infréquentables et manipulateurs. Cette dialectique tourne à plein régime avec, à l’extrême gauche et à l’extrême droite, comme parmi les souverainistes, une efficacité qui est confondante quand, au moment où l’on idéalise le rapport potentiel à cette Russie forte et virile, garante des valeurs séculaires – en comparaison avec une Amérique exécrée qui est tenue pour être à l’origine de la crise ukrainienne – force est de constater que c’est dans cette Russie que la démocratie rime avec assassinats et brutalités, presse soumise, soutien au régime de Damas, nationalisme, xénophobie, etc.

Il y a dans la fascination et l’indulgence qu’inspire la Russie de M. Poutine, qui s’est maintenu au pouvoir, avec M. Medvedev, grâce à un jeu de chaises musicales qui serait digne des récits antiques, quelque chose qui ramène au même phénomène d’aveuglement que celui que Staline inspira en son temps auprès de tant d’Européens, au temps de la guerre froide, des brigades rouges et des pacifistes.
Il faut beaucoup de complaisance à l’égard de ce qui y conspire pour parvenir à faire détester une Europe qui oeuvre, sans doute imparfaitement, à un grand dessein commun au profit d’une Russie qui n’offre en partage que la tragédie d’un nationalisme virulent, sûr de lui-même et sans scrupule.
Il est à même de faire resurgir des vieux démons qui ne demandent qu’à revenir danser sur notre continent. En mettant à l’index la bureaucratie européenne, M. Labrov s’y emploie, avec une habileté qui ne peut être que délibérée car elle peut trouver des relais naturels dans les opinions publiques et certaines formations politiques.
Errare humanum est perseverare diabolicum.
L’Europe a son destin entre ses mains pour établir et faire prospérer une civilisation susceptible de marquer l’histoire et d’apporter au monde une intelligence singulière. Nous serions peut-être mal avisés d’en placer une partie entre celles de M. Poutine.
Ce n’est pas notre essor qui l’intéresse.

Laisser un commentaire