La démocratie française malade d’elle-même

Le vote FN est à la démocratie ce que ce que le thermomètre est à la maladie. Il peut déjà servir à mettre en évidence la maladie, mais qui peut croire, sans vouloir offenser quiconque, qu’il est le bon remède. C’est un instrument fiable pour mesurer le niveau de défiance de nos compatriotes à l’égard du « Politique » et de la « Démocratie ». Le Politique et la démocratie devraient être, ce n’est pas faute de le ressasser et d’incanter sur ce mode, ce qui fournit les opérateurs et le cadre de nos nécessaires délibérations.
Mais depuis quand n’avons-nous pas délibéré sérieusement ?Et si nous ne le faisons plus, quelles sont les raisons qui nous ont amené à dénaturer notre rapport aux urnes, au-delà de toute raison, pour exiger d’elles qu’elles exonèrent le peuple français de ses devoirs et des réformes qui déjà étaient impérieuses.
Nous avons sauvé un modèle social, mais nous l’avons payé au prix d’une démocratie désormais agonisante qui se donne au plus démagogique. En psychologie, on qualifie ce détournement de la pensée d’évitement.

On peut situer ce moment de bascule en 1968 avec la révolution des mœurs, en 1981 avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, ou encore, en 1996, période charnière selon moi, avec la dissolution de l’Assemblée nationale et la chute du gouvernement Juppé, ouvrant la porte à la cohabitation qui fut celle de l’instauration des 35 heures et de notre décrochage économique. Ce sera l’œuvre des historiens que de le déterminer, ce que je crois qu’ils feront.

On peut aussi – ce n’est pas mon analyse – attribuer à la mondialisation et à la construction européenne – et invoquer le déni de démocratie de 2005 quand le « Non » au traité constitutionnel l’a emporté en France sans rompre son adoption- la responsabilité de notre débâcle démocratique, car c’est bien ce que nous vivons.
Si ce n’est pas une débâcle, alors, tout est non seulement légitime mais indifférent en démocratie et nous n’avons aucun examen de conscience à réaliser, mais à subir des conséquences que nous nous sommes choisies.

Les 18-34 ans, et les étudiants,
boudent la démocratie,
et leurs aînés la confisquent

La sociologie du scrutin du 22 mars, établie à partir d’un échantillon de 6119 Français pour le sondage Opinion Way pour Opinion, fournit une image terne et peu flatteuse de l’état de notre démocratie, gagnée par la lassitude et l’indifférence. On s’est habitué à des taux d’abstention générale de 50%, mais regardons de quoi est fait ce vote.
D’abord les jeunes. Ce sont eux qui sont dans le trou noir de l’abstention. Entre 18 et 34 ans, ils sont presque 70% sur 13.4 millions à ne pas s’être déplacés aux urnes, chiffre à comparer aux 65 ans et + (12,1 millions) qui sont 70% à voter.
La pyramide démocratique Les jeunes devraient être les plus mobilisés pour écrire les pages de leur avenir. Ce sont leurs aînés qui écrivent l’histoire.
La pyramide électorale est l’exact contraire de la pyramide des âges. Le reste, sinon la relation entre le faible niveau de vie et le niveau, inversement proportionnel, du vote protestataire, est peu significatif sinon sur le trouble qui gagne nos compatriotes sur l’Europe, la place de la France, et l’offre politique, 72% des abstentionnistes se déclarant sans préférence partisane.

La société française est divisée, fracturée. La République n’assure plus la cohésion nationale. Comme si elle avait croisé le regard de la Gorgone, la société française est en cours de pétrification. Le seul suicide français il est là. L’esprit du 11 janvier est une illusion. Nos compatriotes sont taraudés par le doute qui croît au rythme de la paupérisation et de la désespérance qui nourrit un amer et compréhensible ressentiment.

Plus nous nous rapprochons de la montagne de charges et réformes qui seront nécessaires d’assumer et à laquelle nos amis européens nous rappellent régulièrement et avec insistance, plus nous découvrons – ce qui accroît une sorte de schyzophrénie  – les impérities qui furent les nôtres ou celles de nos parents. Pour ne pas se tromper, il faudrait se tromper davantage. Ou se dédire, ce qui réclame un immense élan auquel nous ne sommes apparemment pas prêts, encore.

Une ère de grands enjeux appelant,
indifféremment de leur niveau de vie actuel,
de grands peuples

« A voté! » L’exercice du devoir civique, que quelques élus, avant le premier tour des Départementales, ont suggéré de rendre obligatoire et sanctionnable par une amende, ne procure aucun frisson démocratique. On ne peut pas attendre de lui au mieux qu’une satisfaction partisane, au pire qu’une détresse partisane, telle celle qui foudroient la gauche, et la majorité gouvernementale particulièrement.

Tout cela n’offre pas matière à consoler qui que ce soit par quoi que ce soit.

C’est ce que l’on attend parmi les électeurs. « On a tout essayé, la gauche, la droite et rien n’a changé. Alors le FN, pourquoi pas? ».
On a tout essayé. Peut-être. Peut-être pas. On n’a pas essayé un peuple responsable et lucide, car la politique conduite par les uns ou les autres n’est qu’un sujet indirect, le seul et authentique sujet national, c’est le peuple. Celui qui faisait distinguer, lors de son discours de Bayeux au général De Gaulle, au sujet de la Constitution, Ve du nom dont il plaidait l’adoption, que « Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : « Quelle est la meilleure Constitution ? » Il répondait : « Dites-moi, d’abord, pour quel peuple et à quelle époque ? ».

Regardons-le, le peuple, comme un ami auquel on peut dire les choses qui fâchent, et principalement que les grandes époques et celle qui s’est ouverte avec le XXIe siècle ne saurait pas être autre chose – par les perspectives démographiques, les besoins vitaux de ces populations, la question de l’écologie, les progrès scientifiques et technologiques, qui sont soulevés – qu’une ère de grands enjeux appelant, indifféremment de leur niveau de vie actuel, de grands peuples à se prononcer. Ils devront être animés par des sentiments moraux, donc civiques, élevés.
Au regard de la dynamique de la mondialisation, la démocratie est à ce niveau d’exigence. Quand elle est abaissée, elle est au mieux un exutoire et fait le lit de passions éphémères et trompeuses.
La France mérite mieux.

Bien à vous.

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