Tant que nous n’aurons pas compris…

Les efforts de François Hollande pour mettre en place, après les attentats du 13 Novembre, la grande coalition anti-daesh qui aurait regroupé Russes et Américains, Iran et pays du golfe, Européens, ne verra pas le jour.
M. Laurent Fabius, ministre des Affaires Etrangères, n’excluait pas, s’agissant des forces à engager au sol de pouvoir associer sur le terrain l’Armée  Syrienne Libre et l’armée du régime.

Sans surprise, pourtant, le Kremlin, ce matin (27/11/2015), a officiellement rejeté l’idée d’une coalition internationale unique. Les divergences sont trop importantes.
Les Russes et les Iraniens continueront donc de faire leur guerre particulière contre le terrorisme en concentrant leurs efforts sur la sauvegarde de Bachar El-Assad et de son régime, tandis que la coalition regroupant occidentaux, pays du Golfe, Jordanie, européens, livrera, elle, la bataille contre l’hydre terroriste.
Tout au plus, les Russes consentent-ils un niveau de coordination, destiné à éviter des « incidents », tel celui qui s’est produit à la frontière turco-syrienne où un de leur bombardier a intentionnellement ignoré les avertissements avant d’être abattu, en début de semaine.

Que faut-il en déduire? Que la pierre d’achoppement est incarnée par Bachar El-Assad, dont le sort primerait, aux yeux de la Russie, sur le danger que représente daesh?
Si on se range à cette lecture, on entend bien les reproches de tous ceux qui, y compris en France, militent depuis plusieurs mois pour faire taire tout scrupule et accepter de fermer les yeux sur l’élimination de toute opposition à Bachar El-Assad, le réinstaller sur son trône et garantir ainsi à son régime, au nom d’une curieuse conception de la souveraineté nationale, la mainmise sur ce pays.

J’ai déjà dit combien ce qui fait la valeur si élevée de Bachar El-Assad, ce sont les secrets qu’il détient et partage avec l’Iran et, probablement, avec la Russie dont il est de plus en plus difficile de croire qu’elle n’est liée à Bachar El-Assad que par des intérêts objectivement géostratégiques.

Au delà du sort de Bachar El-Assad, une question se pose de plus en plus: si la Russie comme l’Iran ne frappent pas daesh ou al-qaida comme leur ennemi, en tout cas comme celui qui justifierait un front uni et une bataille finale, est que cela ne met pas en évidence une très grande ambiguïté de leur part à l’égard de cette armée de terroristes?

Et c’est la réponse à cette question qui déterminera la durée de ce combat qui ne s’éternise, jusqu’ici, que parce que la communauté internationale et la plupart des protagonistes, jusqu’aux djihadistes probablement, en sont dupes ou acceptent encore d’en être dupes.

Tant que nous n’aurons pas compris et intégré les intérêts que ce terrorisme sert, au delà ce dont on l’affuble, nous demeurerons vulnérables. Par contre, si on démasque son ennemi et ses objectifs, c’est lui qui devient vulnérable puisqu’on le prive des moyens de ses subterfuges et des moyens de sa tromperie.

Si on laissait daesh ou al-qaida
gangréner ces territoires
en se condamnant à se défendre
par des coups d’épée dans l’eau 

« Daech n’est donc pas un État. Mais certaines voix, encore marginales, estiment justement que la création d’un État sur ce territoire serait précisément le meilleur moyen de vaincre l’organisation terroriste. Dans une tribune publiée mardi sur le New York Times, John R. Bolton, chercheur à l’American Enterprise Institute et ex-ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies jusqu’en 2006, estime que l’Irak et la Syrie n’existent plus telles qu’on les a connues. John R. Bolton part d’un constat: vaincre Daech, oui, mais pour être remplacé par quoi? Il défend alors une thèse pour le moins iconoclaste: «La meilleure alternative à l’État islamique au nord-est de la Syrie et à l’ouest de l’Irak, c’est la création d’un nouvel État sunnite indépendant.» », écrit Edouard de Mareshal, dans Le Figaro.

Cette thèse, pour être marginale intellectuellement et digne d’un apprenti-sorcier, est pourtant celle qui  est privilégiée dans les faits par la Russie et l’Iran. C’est celle qui progresserait si on laissait daesh ou al-qaida gangréner impunément ces territoires, en se condamnant à se défendre par des coups d’épée dans l’eau que sont, d’une certaine manière, les frappes aériennes.

Cela aboutirait à un état de fait qui, au-delà des spéculations sémantiques sur l’EI, accréditerait un avatar du sunnisme engraissé pour altérer le sunnisme et, dans le cas de la Syrie, discréditer par un amalgame, l’opposition syrienne.

Une fois que l’EI, daesh, le califat de je ne sais quoi, auront terrorisé les populations que nous aurons accepté de placer sous sa coupe, qu’il aura déstabilisé les régimes en place, l’Iran pourra rafler la mise et s’octroyer, en pacificateur de l’islam, le beau rôle au plan historique.
Mais tout cela n’aura été qu’une puissante mystification qui n’aura pu s’imposer que grâce à notre paresse intellectuelle.

Pendant des mois, combien de politiques, d’intellectuels, ont péroré sur le thème de Camus selon lequel « Bien nommer les choses, c’est enlever du malheur au monde ». Tout cela pour se targuer de désigner, l’islam, le fondamentalisme islamique, le salafisme…

Mais jamais l’Iran, car nommer l’Iran, c’est nommer avec lui la Russie, c’est nommer Bachar El-Assad et dessiner les contours de deux ambitions géopolitiques scabreuses qui pour s’accomplir nécessitent l’affaiblissement de l’Union Européenne, l’isolement de la Turquie dont les nerfs ne sont pas testés au hasard, comme elles nécessitent la chute  et le délabrement de l’Irak et des Pays du Golfe, cela au service de l’exportation lente de sa révolution chiite.

Bien à vous.

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