La guerre invisible

Une guerre invisible n’est pas une guerre qui ne se voit pas. C’est une guerre qui ne montre d’elle que ce qui la tient masquée.

Jusqu’à présent, il fait peu de doute que la guerre qui nous est livrée, et qui a ensanglanté en quelques mois la France, la Belgique, le Pakistan, la Turquie, le Mali, le Maghreb, est demeurée invisible, s’agissant de ses réels enjeux et de ses motivations concrètes.

Nous n’en absorbons que l’enfumage alors que ce qui importe réellement, pour défaire et rendre inopérante la stratégie mise en œuvre, c’est d’identifier l’origine de la menace et de discerner ses points d’appui et de développement.

Prenant le relais d’Al-Qaida, en perte d’influence apparente, des terroristes infiltrés en Europe érigent le drapeau noir de Daesh, chaque fois qu’ils commettent leurs abominables attentats.

Le résultat de ces opérations est toujours le même. Nous nous réveillons en plein cauchemar avec, pour paraphraser Le Spleen de Baudelaire, le drapeau noir des soldats du califat planté sur nos crânes inclinés.

Ils entrent dans notre pensée les éléments qui nous amènent à penser ce qu’ils veulent que nous pensions.

Affreux trophées qui nous ramènent toujours au pied du même mur, de nos mêmes limites à penser le mal au-delà de cette barrière.

Je l’ai maintes fois répété. La Révolution Islamique d’Iran, et son guide suprême, l’ayatollah Khamenei, sont à l’origine d’une conspiration géopolitique, sans aucune mesure dans l’histoire.

Elle y a recruté des concours et ces concours sont à l’œuvre pour que nous réalisions une partie du travail à leur place.

L’antagonisme que l’on prête aux relations entre chiisme et sunnisme est jugé indépassable.

Si bien que ce qui est signé par les sunnites de daesh ne saurait être de quelque façon couplé à une machination de grande ampleur, au plan géopolitique, destiné à renverser les « pétromonarchies », si proches de l’Occident qu’il faut les assimiler à des régimes corrompus et à déstabiliser nos vieilles démocraties européennes, et leur construction géopolitique à laquelle la Russie de Poutine trouve tant de défauts.

Qui, en Occident, développe ce discours ?

En l’absence de plan, il faut chercher le plan. Toute agression obéit à une dynamique et à une structure. On parle beaucoup, aujourd’hui, d’asymétrie pour distinguer le potentiel militaire et de renseignement des grandes puissances face à celui des groupes armés, tels Al-Qaida ou Daesh, qui incorporent le terrorisme en tant que vecteur de leur stratégie.

Nous avons tort de ne pas intégrer la communication et les retombées politiques dans les visées de la stratégie de Daesh, qui a introduit le terrorisme dans une nouvelle dimension.

Il suffit d’observer les réactions des opinions publiques, la manière dont certaines forces politiques exploitent et catalysent les effets des attentats, la montée des exaspérations, pour mesurer que la véritable puissance du terrorisme s’exerce dans l’utilisation et la mise en œuvre de ces leviers.
C’est une machine effroyable destinée à laminer la raison des populations, à laminer la raison des peuples.

S’il y a une asymétrie, il reste une synchronicité. Pourquoi le régime de Bachar El-Assad a-t-il libéré, en décembre 2011, Abou Moussab Al-Souri (le Syrien) ? Cette question mérite d’autant plus notre acuité que ce personnage, venu de la branche armée des Frères Musulmans, est considéré au confluent des doctrines djihadistes et comme le doctrinaire de Daesh.

Mais la guerre invisible obéit à des ressorts qui eux-mêmes le sont, sans quoi cette guerre ne serait pas invisible et la conspiration ne serait pas une conspiration, avec ses objectifs, les mécanismes qu’elle emprunte, les intérêts objectifs qu’elle ouvre, et ses complices.

La Révolution Syrienne, et la manière dont elle a scellé autour du sort de Bachar El-Assad, l’alliance de la Russie de Poutine, de l’Iran et du Hezbollah, agit comme un révélateur.

Les circonstances, et la pression des opinions publiques, souvent, auraient dû conduire l’Occident à intégrer la Russie, voire l’Iran, dans une coalition internationale élargie, unie par la guerre contre le terrorisme.

Cela ne s’est pas produit même si la presse a noté l’émergence de la Russie au rang de super-puissance. L’Iran, lui, est resté à quai.
Cet agenda n’a pas fonctionné comme certains pouvaient espérer le voir fonctionner.

La Révolution Islamique
a beau verrouiller ses bases,
annoncer une économie
de la Résistance, elle traverse
une crise existentielle profonde

Comment déjouer une conspiration d’un tel ordre ?

En maintenant l’apparence qu’elle est toujours invisible, car une guerre invisible est vraisemblablement préférable à une guerre ouverte, à un conflit frontal, auquel peu de monde aurait intérêt, nos Etats, l’Europe, la France, et leurs alliés sunnites de la région, manifestent sans doute une intelligence invisible. Dont il est d’autant plus difficile pour eux de se prévaloir devant les reproches de leurs opinions publiques.

La démocratie n’est pas toujours compatible avec toutes les transparences et cela fait un défaut à sa cuirasse qu’on ne lui souhaite béant au point de s’y perdre.

La Révolution Islamique installée par Khomeini possède un appétit géopolitique insatiable et aspire aux premiers rôles à l’échelle du monde, en lieu et place de l’Arabie Saoudite et du Qatar, aux médiations précieuses.

Il y a quelques semaines, elle se disait prête à tenir ce rôle et affirmait, dans une formule sibylline, qu’elle avait une science telle que ses ennemis ne pourraient plus prendre des contre-mesures (dans le compte-rendu en anglais).

Mais, en dépit des apparences, elle est en repli. Elle s’épuise, à l’image de son leader, guide vieillissant d’une nation jeune écrasée par une révolution sclérosée.

Les derniers discours du guide suprême, Ali Khamenei, laissent percer l’image d’un régime sur la défensive.

Il n’est plus invulnérable.

La Révolution Islamique a beau verrouiller ses bases, annoncer une économie de la Résistance, elle traverse une crise existentielle profonde.

La terreur que le guide suprême et ses instruments de répression exercent sur son peuple, la manière dont celui-ci est conditionné, oblige ceux qui combattent le régime, de l’intérieur comme de l’extérieur, à plus de subtilité car ce régime, à l’image du mouvement endormi au centre de la roue du djihadisme, s’est mis hors d’atteinte.

La Révolution Islamique a trouvé dans Al-Qaida et Daesh, l’Etat Islamique ainsi qu’il s’est auto-proclamé, un relais pour accomplir un même dessein. Ne nous leurrons pas, ce salafisme est une figure de combat, un avatar au même titre qu’Al-Qaida.

Il n’a rien à voir avec le wahhabisme. Il en est l’ennemi mortel. Ne fût-ce qu’à ce titre, ce courant de l’Islam constitue l’arme de prédilection à retourner contre les puissances qu’il faut réduire pour en prendre la place.

Quand Hassan Nasrallah vouait en novembre 2015 le régime saoudien aux flammes de l’enfer, la violence de sa diatribe a surpris tout le monde.

Elle révélait, au grand jour, l’ampleur de la haine vouée à l’Arabie Saoudite et à ses dirigeants qui se plient, selon le Hezbollah, aux ordres des États-Unis dans cette région.

Cette critique épargne-t-elle les institutions et Etats de l’Union Européenne, stipendiés, d’ailleurs, pour leur manque d’indépendance par rapport aux Etats-Unis (TAFTA, OTAN, politique moyen-orientale).

Julian Assange, créateur de Wikileaks, n’a-t-il pas attendu de la France, et particulièrement du président Hollande, qu’il marque son indépendance, en lui accordant au passage l’asile qu’il réclamait.

Suffit-il de prétendre d’une puissance telle que l’Arabie Saoudite qu’elle est associée ou à des intérêts communs aux Etats-Unis pour la charger de tous les maux de la Terre ?

A portée du glaive du Hezbollah, auprès des Gardiens de la Révolution en Iran, dans la rue arabe où purulent et sont instrumentalisés des ressentiments infinis, c’est sans doute possible, peut-être même d’autant plus compréhensible que l’Iran joue parfaitement de cette corde sensible que constitue l’antisémitisme et l’antisionisme et de la solidarité envers les Palestiniens.

Il y compterait deux relais actifs : le Hamas et le jihad islamique.

Cette carte est toujours dans la main du guide suprême, pour mettre en porte-à-faux les régimes sunnites modérés sur cette question passionnelle et permettre à Ali Khamenei, qui se prétend descendant du prophète, de se poser comme le héros de Jérusalem.

Israël, les Palestiniens eux-mêmes, doivent l’en priver, sans quoi le risque de voir cette question, si elle est instrumentalisée comme les circonstances s’y prêtent encore hélas, embraser la région peut grandir rapidement et augmenter la portée du jeu de massacre, alors même que l’Irak échappe aux démons qui ont été jetés sur lui.

Une chose est sûre : l’Irak est allé au bout de l’enfer, mais le successeur de Al-Maliki, le Premier ministre Haider Al-Abadi est en train de reconstruire, pierre après pierre, une nation souveraine, pacifiée et indépendante.

Ce qu’elle a vécu est au-delà, pourtant, d’une douloureuse expérience. Sous doute les autorités irakiennes ont-elles profité de la dispersion de Daesh sur la Syrie, ce qui a permis aux forces irakiennes « d’assurer la libération totale des provinces, des villes et des villages usurpés et à procéder l’élimination de gang de Daesh afin de nettoyer la terre de l’Iraq d’une abomination ».

Les tentatives d’enflammer un croissant chiite qui aurait pu comprendre l’Irak après l’exécution du dignitaire chiite Al-Nimr, le 1e janvier dernier, n’ont pas porté.
Le renoncement à la Révolution Islamique serait un danger inacceptable pour l’Iran.

Ali Khamenei a considéré lors de son discours du Nouvel an perse que de telles inflexions [induites par le rapprochement de certains points de vue occidentaux] dénatureraient la Révolution.
« La République Islamique serait amenée graduellement à affaiblir ses bases et ses forces, et elle s’éloignerait des enjeux fondamentaux auxquels l’Islam […] la lie, comme dans le soutien de la politique anti-israélienne et les politiques de soutien des nations de Palestine, du Yemen et du Bahrein », a-t-il précisé, ciblant des révolutions essaimées dans l’aire de l’Arabie Saoudite.
L’Iran de l’ayatollah Khamenei est donc ce pays qui n’a que des lignes rouges pour frontières, des ressources régionales innombrables pour déstabiliser et atteindre ses ennemis (Hezbollah, Hamas, Al-Qaida), une aisance dans le jeu des lignes chiites et sunnites et une incertaine pédagogie de la Révolution pour âme nationale.

Il est au cœur de la guerre invisible qui nous est menée.

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