Faut-il un droit de la presse particulier en état d’urgence?

[Origine du texte : 8 avril 2016]

Même si le débat constitutionnel est refermé, je me demande dans quelle mesure l’état d’urgence, correspondant donc à une série de mesures adoptées pour faire face à la menace lourde qui pèse sur nous, ne devrait pas aboutir à une limitation, un encadrement, de la liberté de la presse, tout comme, finalement, à une limitation de la démocratie directe.

Il me semble évident, aujourd’hui, que des forces nourrissent et instrumentalisent avec une vigueur redoublée le potentiel que leur offre ces vecteurs, et ces forces y renonceront d’autant moins que la société qui prétend se défendre donne l’image d’une société qui se désagrège et perd le nord.

Bien sûr, limiter la liberté de la presse n’est pas envisageable.

Dans une démocratie qui fonctionne normalement, on pourrait en effet considérer la liberté de la presse et des médias, relais si puissants et exaltants, comme le poumon du système politico-médiatique.

Les opinions publiques n’y sont pas un champ de bataille comme un autre et s’il advient qu’elles deviennent le théâtre de batailles qui n’ont peu de choses à voir avec l’esprit de la délibération démocratique, saine et raisonnée, alors les peuples sont eux-mêmes l’arme qui terrasse en la pervertissant la démocratie à laquelle ils sont attaches.

Même si, depuis plusieurs années, la question peut se poser s’agissant de ce service, la manière dont la presse, érigée en 4e pouvoir, fonctionne en période d’état d’urgence pose question.

D’abord, à de très rares exceptions, force est de constater que la narration est quasi-identique s’agissant du djihadisme, et de son interprétation comme de ses origines. J’ai eu le privilège d’en développer une autre.

Par ailleurs, cette période qui appelle de nos gouvernants le plus haut sens des responsabilités, semble en exonérer les médias qui reprennent à l’unisson une rhétorique qui selon mon analyse est, bien plus qu’ils ne le soupçonnent, celle que trament nos ennemis et qu’ils désirent voir, plus que toute autre chose, s’imposer.

Il y a des formules reprises et partagées à l’envi qui finissent par relever de la tautologie. Je me suis demandé, en janvier 2015, comment pouvait naître un « nombril » sémantique.

La manière dont la formule de Camus relative à l’impérieuse nécessité de désigner les choses, pour enlever, soi-disant, du malheur au monde, est reprise est une facilité dialectique inquiétante. Je crains que l’exhortation de Camus soit piétinée par ceux et celles qui s’en prévalent avec vanité.

A plusieurs reprises, j’ai attiré l’attention sur une construction qui n’aurait d’autre objectif que d’amalgamer l’Arabie Saoudite et le Qatar au djihadisme, tandis que l’Iran tirerait les ficelles.

Il me semble, en matière de stratégie, qu’un des objectifs des frappes est d’obtenir le renversement des alliances et en l’occurrence, quel gain – et par conséquent cela justifie les ressources employées – pourrait être plus glorieux que celui qui consisterait à nous mettre dans un état ne nous permettant plus de distinguer nos alliés de nos ennemis.

On ne peut pas reprocher
aux citoyens un manque de recul.
Aux hommes d’Etat, oui.

Lorsque je lis, hier, que Christian Estrosi allume une polémique, contre l’Etat, au sujet de l’entrée sur notre territoire, de sujets d’Arabie Saoudite. « On ne peut pas exempter de tout contrôle au passage, dans le 2ème aéroport de France après Paris, des ressortissants d’Arabie Saoudite ou de la péninsule arabique comme c’est le cas. Au milieu de convois, il se trouve que des personnes fichées S ont pu passer sans le moindre contrôle alors que nous sommes en état d’urgence et que le niveau de menace terroriste est au maximum », n’a pas eu peur d’écrire M. Estrosi.

A la décharge du président de la région PACA, maire de Nice, il n’est pas le seul, à souffler sur de telles braises.
On ne peut pas reprocher aux citoyens un manque de recul. Au hommes d’Etat, ou à ceux qui se destinent à ces responsabilités, oui.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, sur la page facebook de l’Elysée, alors que surgissait un ennemi désigné comme le salafisme, j’ai déposé une petite réflexion, en attirant l’attention sur le fait que le salafisme, désigné et qui nous désignerait, pour reprendre Freund, comme ennemi, faisait une irruption trop rapide pour être innocente.
J’ai demandé une certaine retenue.

Il viendra un temps, pour les citoyens, de constater comment des forces agissent afin de manœuvrer les opinions publiques, d’y faire naître des vagues qui peuvent s’avérer scélérates au point d’ébrécher l’Etat qui protège les citoyens.

On ne peut pas limiter le droit de la presse, mais on peut espérer que ce droit de la presse, en situation d’état d’urgence, n’obère pas et ne limite pas le discernement des citoyens, qui n’ont pas à être prisonniers des rhétoriques médiatiques qui les font agir au mépris de leur intérêt fondamental.

#panamapapers: « Il n’y a pas
d’Américains sur la liste »

Le cas du référendum néerlandais sur l’Ukraine, dont le résultat est dûment et de manière prévisible exploité par les intérêts russes si prolixes sur la toile à travers leurs réseaux dédiés, est éloquent. Il n’est pas interdit de considérer, dans une société hypermédiatisée, l’effet comme le motif. Le prochain attentat, que nous en soyons préservés ! devrait nous voir à genoux.

Par ailleurs, j’observe – et je crois que chacun devrait s’imposer le devoir de le faire – la manière dont évolue l’affaire des #panamapapers. Il est difficile, voire impossible, de savoir si le si fameux consortium des journalistes d’investigation (quelle humilité dans la manière de se présenter) a été instrumentalisé à son point zéro par la source des données.

Il y a quelques jours, Vladimir Poutine

panamaputin

a repoussé d’un revers de la manche les accusations et mis en scène la défense en objectant qu’il était évident, à ses yeux, que le scandale des #panamapapers était une conspiration des Américains contre lui.

Si on invoque, s’agissant des révélations du ‪#‎panamapapers‬ comme M. Mélenchon, Poutine, etc, l’hypothèse d’un complot, il ne suffit pas d’arguer du fait que certains n’y seraient pas mentionnés (« Pas d’Américains dans la liste ») pour s’installer, à l’égal des autres cibles, dans une position victimaire.

Le Point qui, en quelques semaines, n’est pas en reste en matière de louanges à « Notre ami Poutine » et au « Nouvel Iran », sert la même théorie sous la plume d’Aberkane, qui souligne, ce qui est un comble, que « l’intelligence est la faculté de relier des points distants ».

Et je la complète, s’agissant du présumé complot américain contre Poutine, car un complot, s’il devait y avoir complot, fonctionne avec un peu d’intelligence, et la posture consistant à figurer comme cible évidente, ce qui est l’argumentaire de Poutine, est une manière de s’exclure, en définitive, du nombre de ceux qui en sont ou pourraient en être les instigateurs.

D’ores et déjà, les « révélations » du #panamapapers ont conduit à la démission du Premier ministre islandais, devant la pression de la rue qui réclame la chute du gouvernement.

Elles placent aussi le Premier ministre David Cameron dans un grande fragilité que ne manqueront pas d’exploiter les partisans du Brexit, ce à quelques semaines du référendum qui doit décider du maintien ou non du Royaume Uni dans l’Union Européenne.

Petro Porochenko, héritier de Maïdan, pour l’Ukraine est dans l’œil du cyclone, tout comme d’autres personnalités politiques dont le roi du Maroc ou le roi Salman d’Arabie Saoudite.

Cela constitue-t-il de simples dégâts collatéraux ? Une certaine presse jubile. Elle a tort.
Pendant ce temps, le maître du Kremlin vient de mettre en place une garde nationale forte de 200 à 300000 hommes, dont le commandement a été confié, rapporte Le Figaro, à un ex-membre du KGB au passé trouble. Jusqu’à quel point, cette garde nationale, dans une nation si hautement militarisée, n’est pas le prélude à une sorte de corps des gardiens de la révolution, uniquement vouée à la protection du cœur du régime ?
Auquel cas, la Russie s’iranise. Et cela est un motif d’inquiétude considérable.

Je ne crois pas, personnellement, que M. Poutine souffre de ces « révélations », même si M. Mélenchon s’est porté à sa rescousse, compte tenu de la situation et de l’état de la démocratie russe.

Par contre, un Premier ministre islandais est tombé, et le gouvernement est remis en cause par la rue. Le Premier ministre David Cameron est mis en difficulté, à quelques semaines du référendum sur le Brexit. Porochenko, en Ukraine, devra faire face à des accusations de corruption dans un contexte périlleux. Le supplice de la goutte d’eau distillée des révélations de la presse peut perdurer, apparemment…

Il y a des gens qui voient là l’apogée de la démocratie. J’y vois sa tombe. Et nombreux sont ceux à danser dessus. Le consortium des journalistes d’investigation me semble inaugurer une ère inquiétante, celle du journalisme dit « des données » où la dignité de l’Etat est englouti au profit d’un totalitarisme de l’information. Cette ère n’est en rien satisfaisante. Les satisfactions que ce type de journalisme procurera seront de courte durée.

Nous verrons – ou pas – ce que donnera la localisation du piratage. En attendant, on exalte des ressentiments, des suspicions, on alimente une justice médiatique expéditive, tout ce qui conduit à une décomposition sociale et politique. Tout ce qui nous expose, surtout, à des erreurs de jugement calamiteuses.

Tout cela devra pousser à nos sociétés démocratiques à un examen de conscience.
Il se justifie car nos délibérations sont indignes de nos exigences.

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