Plus que la démocratie, Poutine craint la conscience humaine

Le conflit conduit depuis le 24 mars 2022 par la Russie en Ukraine est critique pour l’avenir du monde.

Puisqu’il témoigne que le belligérant russe s’y attribue tous les droits y compris celui de viser une centrale nucléaire civile comme de travestir toute la réalité, la guerre en Ukraine est bien plus, est bien pire, qu’une guerre géopolitique.

Il y a encore quelques années, elle serait apparue par elle-même et la nature de ce qui s’y oppose et s’y met en évidence, comme une guerre entre le bien et le mal.

A travers ce conflit qu’il a ouvert et mène au nom de la Russie, monsieur Poutine apprécie et teste quelle déformation de la réalité nous sommes prêts à accepter. Il le demande à l’Occident, dont il défie les dirigeants. Il le demande aux autres parties du monde. Il l’impose à ses vassaux.

Il veut faire croire qu’il se livre à une guerre légitime, au cours de laquelle les soldats russes libèreraient Kiev des néo-nazis. C’est une fiction.

Cette fiction est insoluble dans son propre espace. Elle n’est pas davantage soluble dans la démocratie que dans toute autre forme de régime, se voulant honorable, bienfaisant et non hégémonique au monde.

La question qui se pose donc à toutes les nations est celle qui se pose directement à la conscience humaine.

La protection de la vertu au sein
de toutes instances et de surcroît
de celles qui ont vocation à entretenir
la gouvernance mondiale
n’est pas l’apanage des démocraties.

Nous voyons l’effort qui se déploie afin de tuer dans l’œuf le danger d’une escalade et la certitude d’un expansionnisme territorial intolérable.

Nous savons que rendre compte de la réalité, en Russie, est criminalisé, même si, comme l’eau et comme l’air, la vérité s’infiltre et pénètre là où elle doit aller.

Il ne faut pas désespérer de la qualité qui sommeille en l’Homme. C’est la plus insignifiante des choses mais elle transcende aussi ce qui peut sembler précaire, démuni, face aux tanks, aux avions et à la violence de la brute.

Il est possible de couvrir les débats, de bâillonner les voix, de procéder à tous les bombardements cognitifs imaginables, de saturer les systèmes et de multiplier les diversions, mais la force de la raison reste disponible dans le concert des nations. L’Organisation des Nations Unies a été fondée sur cette promesse faite aux différents peuples de la planète que la raison pouvait accomplir la paix durable.

Si l’ONU ne peut y répondre ou si elle se retrouve otage de duplicités, alors il faudra améliorer son fonctionnement ou la refonder afin de réaccorder l’Assemblée Générale et le conseil de Sécurité avec la promesse engagée originellement, avant que la guerre froide ne pervertisse si vite le rapport des nations entre elles et les sépare en blocs.

Le tort a peut-être été de croire que la guerre froide s’est achevée avec la chute du mur de Berlin.

Il n’est pas l’heure de permettre à Monsieur Poutine de redessiner au sang et de marquer au fer rouge cette division du monde. Elle condamnerait la paix. Ou condamnerait l’honneur. Ou les deux.

Dans ce XXIe siècle naissant, il faut pouvoir croire qu’il n’y a pas de combat juste perdu d’avance.

Dans le cas particulier de l’agression russe sur l’Ukraine, tout dépend de ce que les Etats font et feront de la dignité qui leur est dévolue lorsque va s’accentuer la pression, se déchaîner l’horreur.

Il faudra alors répondre aux convocations du réel et se prononcer dans le cadre ad hoc, dans la succession des cadres ad hoc.

Il faudra voir si des Etats se compromettent en acceptant de voir institutionnaliser le mensonge, de s’en faire l’instrument ou le complice, ou s’ils opposent leur véto.

Le véto de leur vertu.

La protection de la vertu au sein de toutes instances et de surcroît de celles qui ont vocation des à définir et entretenir la gouvernance mondiale n’est pas l’apanage des démocraties. Cette charge intéresse tout le monde et pare chacun de la même dignité.

Même si elle est en minorité aux Nations-Unies, la Russie que monsieur Poutine contrôle depuis vingt ans agit avec l’idée de faire pencher des balances ou de les neutraliser. Elle ne sait raisonner que comme ça.

Le prétendu tsar n’est resté
que l’obscur agent du KGB qui,
de Berlin, vit un mur s’effondrer.
Il a gâché toutes ses chances
et ruine, aujourd’hui,
celles de la Russie.

La vérité ne pèse rien ou pas grand-chose. Elle semble toujours céder du terrain devant tous les révisionnismes. Mais elle finit en noyau insécable à partir duquel, en dépit de toutes les désinformations et de tous les lavages de cerveau, elle fait droit à celui dont le territoire et la souveraineté sont violés d’être la victime et lui fait justice de condamner celui qui est l’agresseur.

On peut tourner en rond, faire toutes les circonvolutions oratoires qu’on veut, aucun numéro de prestidigitation ne permettra à l’honnête conscience d’y voir autre chose.

Dire que Poutine craint la démocratie traduit la réalité mais c’est restrictif.

Ce qui est radicalement exact, globalement vérifiable, c’est qu’il craint la conscience humaine.

Poutine a l’âme fuyante de Caïn.

La conscience humaine est ce qui définit la civilisation. Vladimir Poutine trahit à ce titre la grande culture russe, composante de la grande culture des Hommes. Il prétend la faire renaître et se met au ban, au contraire, avec ses généraux et leurs pauvres soldats, de la civilisation.

Qu’il tienne cela pour négligeable ou surmontable par un peu de cosmétique et beaucoup de chantage ne nous tient pas au cynisme ni à l’amnésie.

Le prétendu tsar n’est resté que l’obscur agent du KGB qui, de Berlin, vit un mur s’effondrer. Il a gâché toutes ses chances et ruine, aujourd’hui, celles de la Russie.

Nous pouvons être convaincus que la question que nous pose l’invasion russe de l’Ukraine, précédée de l’annexion de la Crimée et de la reconnaissance des républiques autoproclamées du Donbass, n’a pas finie, si la Russie n’est pas mise en échec, de déstabiliser le monde.

Rien n’étant légitime dans le conflit engagé par Moscou, il est difficile d’imaginer qu’un état légal réel et durable puisse être entériné par la force et le pourrissement délibérés.

Si cela devait être le cas, nous accepterions d’ouvrir des brèches vers l’inconnu et vers le hasardeux.

Nous devons probablement craindre des émeutes de la faim et des faillites, le bruit des armes et les effets dominos. Nous devons craindre les intimidations et provocations nucléaires, les pénuries énergétiques, le chaos des bourses et les perspectives de déséquilibres effrayants.

On devine les leviers sinistres dont Poutine joue. On voit les engrenages qu’il mobilise et fait grincer.

Poutine nous invite indistinctement, qu’il tienne les uns pour des amis et les autres pour ses ennemis, à des abandons. Ce ne sont pas les mêmes, mais ils portent le même signe.

Ces abandons pénalisent tout le monde. Ils ne sont ni de l’est ni de l’ouest, du sud ou du nord, d’Europe, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique, pas davantage qu’ils ne seraient des démocraties ni des autres régimes.

Quiconque accepte que soit bâti un désordre universel, sera frappé, à un moment ou un autre, par des conséquences qui seront aussi universelles.

Nul ne peut se laver les mains de ce qui se passe en Ukraine. L’honneur humain s’y joue.

La loi internationale, l’intangibilité des frontières, l’intégrité territoriale, la délibération, les lois de la guerre en dernier recours, constituent un patrimoine juridique ou jurisprudentiel commun.

Les violer simultanément dans les faits et l’esprit, en pervertir le sens, concourt à un préjudice commun.

Au cœur de l’intervention en Ukraine, Vladimir Poutine remet en cause les valeurs auxquelles il est nécessaire que les nations puissent se référer même si elles sont amenées parfois à des rivalités voire des frictions.

Mais elles sont condamnées à vivre, se partager et s’échanger des ressources, se développer et prospérer ensemble sur une même planète. Et cela ne saurait s’accomplir dans des conditions livrées livré au barbare.

Si là où nous sommes et quelle que soit notre condition nous laissons faire ; si le monde laisse faire Poutine ; le monde aura accepté d’enfanter un monde monstrueux, dominé par la défiance mutuelle, sacrifié à la loi du plus dangereux, du plus brutal, du plus cynique, et ce monde nous conduira en enfer.

Le XXIe siècle n’y serait pas longtemps viable.

Les valeurs qui doivent être défendues parce que Poutine les expose au feu sont génératrices du droit international.

Elles inspirent la charte des Nations-Unies et créditent la signature de la moindre nation qui y siège.

Elles sont la condition de la paix et du progrès dans le monde.

Qu’il soit dit et entendu, ici et maintenant, qu’il est sacrilège d’y attenter et qu’un même esprit, sur la surface du globe, règne pour l’empêcher. Cet esprit, c’est l’esprit des nations.

Le devoir de tous, dans nos pays et sous nos régimes divers et respectifs, est de veiller à ce que nul ne s’arroge impunément le droit d’altérer cela, en abusant la communauté internationale entière et l’ensemble de ses peuples, sauf à vouloir et être en mesure d’améliorer le système, de garantir la liberté générale, et de parfaire la vie sur terre.

La question n’est pas de savoir si on est sensible ou pas à ce devoir. Accepter que cela soit corrompu, c’est être complice de cette corruption.

Monsieur Vladimir Poutine ignore qu’il procure l’opportunité aux différentes nations de se laver de leurs malentendus véniels, d’abandonner les artifices et postures de la politique internationale. Elles peuvent se saisir de l’occasion pour réamorcer le dialogue juste et loyal dont le monde a besoin.

En croyant tout fermer, Poutine a ouvert une fenêtre de paix dans nos relations et nos intérêts internationaux. Elle ne restera pas ouverte indéfiniment. Mais, alors qu’il voulait changer le monde pour le mettre à son image, Vladimir Poutine aurait contribué à le changer pour nous le rendre plus viable.

Pendant que tonnent les canons russes et qu’errent ses soldats, la Russie de Poutine permet à chacun de manifester ce qui fonde en vérité sa dignité et celle de ses pairs.

Rares sont les occasions où l’opportunité d’un progrès conséquent dans l’établissement et la tenue de nos relations, gagné qui plus est dans la clarté des actes et des paroles, se signale aussi clairement.

L’enjeu est celui-ci. Peut-on suggérer aux grands de ce monde qu’un tel moment est historique ?

La responsabilité est celle-là. Leur responsabilité, au nom de leurs peuples en particulier et devant l’ensemble des peuples en général, est celle-là.

Cette responsabilité les désigne.

Il n’est plus possible de tourner autour d’elle, de l’éluder, pendant des semaines ou des siècles.

La guerre invisible

Une guerre invisible n’est pas une guerre qui ne se voit pas. C’est une guerre qui ne montre d’elle que ce qui la tient masquée.

Jusqu’à présent, il fait peu de doute que la guerre qui nous est livrée, et qui a ensanglanté en quelques mois la France, la Belgique, le Pakistan, la Turquie, le Mali, le Maghreb, est demeurée invisible, s’agissant de ses réels enjeux et de ses motivations concrètes.

Nous n’en absorbons que l’enfumage alors que ce qui importe réellement, pour défaire et rendre inopérante la stratégie mise en œuvre, c’est d’identifier l’origine de la menace et de discerner ses points d’appui et de développement.

Prenant le relais d’Al-Qaida, en perte d’influence apparente, des terroristes infiltrés en Europe érigent le drapeau noir de Daesh, chaque fois qu’ils commettent leurs abominables attentats.

Le résultat de ces opérations est toujours le même. Nous nous réveillons en plein cauchemar avec, pour paraphraser Le Spleen de Baudelaire, le drapeau noir des soldats du califat planté sur nos crânes inclinés.

Ils entrent dans notre pensée les éléments qui nous amènent à penser ce qu’ils veulent que nous pensions.

Affreux trophées qui nous ramènent toujours au pied du même mur, de nos mêmes limites à penser le mal au-delà de cette barrière.

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Filets et entre-filets de l’anti-terrorisme

Reconnaissons que de telles choses sont trop fréquentes pour qu’on leur accorde autre chose qu’un intérêt limité. Cependant, en moins de quinze jours, un tribunal de New-York condamne, le 10 mars dernier [2016], l’Iran pour complicité dans les attentats du 11-09-2001 et le chef des Services de Sécurité Ukrainiens (SBU), le 22 mars [2016], soupçonne la Russie d’être compromise dans les attentats de Bruxelles.

Dans le cas du jugement new-yorkais, le magistrat s’appuie sur un dossier solide, des auditions, des pièces déclassées, et a statué au terme d’une procédure qui s’est déroulée sur plusieurs années, en faveur d’une thèse plaçant l’Iran au centre d’une vaste conspiration.

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Les nuits de cristal rodent toujours

D’une nébuleuse initiale, on est aujourd’hui à la tentative d’établissement d’un califat avec son territoire et l’islam comme frontière et débordement de lui-même.

Le théâtre d’opération et son agenda doivent être considérés à travers une grille de lecture objective. Celle qui déroule son défilé d’avatars, cristallisant l’épopée délirante de la résurgence d’un l’Islam des origines et usant sciemment de tous les signes de l’horreur et de l’abomination pour nous sauter à l’esprit, et empêcher nos esprit modernes du recul salutaire sur les événements, pour révéler leur signification réelle. Lire la suite « Les nuits de cristal rodent toujours »