La Russie et l’Iran au coeur de la guerre métamorphe

Plus qu’un guerre hybride, ces deux états nous livrent une guerre métamorphe. Ils se livrent, depuis des décennies, à une stratégie de subversion globale que nous n’avons pas appris à voir venir

La guerre que nous connaissons aujourd’hui ne se limite pas aux conflits armés traditionnels ni même aux guerres hybrides qui mêlent opérations militaires, cyberattaques et propagande. Un nouvel état de guerre a émergé, que l’on peut qualifier de guerre métamorphe. Ce concept décrit un affrontement qui adopte les formes les plus séduisantes et légitimes aux yeux des sociétés ciblées afin de déstabiliser, diviser et paralyser ses adversaires sans qu’ils ne s’en rendent compte. La Russie de Vladimir Poutine et la République Islamique d’Iran ont perfectionné cette stratégie en orchestrant une subversion profonde des démocraties occidentales et de leurs alliés.


I. La Vengeance Stratégique : Pourquoi la Russie et l’Iran visent l’Arabie Saoudite

L’un des points de rupture de la fin du XXe siècle fut l’effondrement de l’URSS en 1991. Une cause majeure, rarement mise en avant, fut l’effondrement du prix du pétrole orchestré par l’Arabie Saoudite entre 1985 et 1986. En faisant passer sa production de 2 millions à 10 millions de barils par jour, Riyad fit chuter le prix du pétrole de 22 dollars à 10 dollars le baril, étranglant ainsi l’économie soviétique, qui dépendait fortement de ses exportations énergétiques.

Vladimir Poutine, qui considère la disparition de l’URSS comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », a dès lors eu une motivation profonde à affaiblir et à punir l’Arabie Saoudite, et avec elle l’alliance stratégique américano-saoudienne qui structure le monde depuis la Seconde Guerre mondiale.

L’Iran, ennemi historique de l’Arabie Saoudite, trouve naturellement dans cette stratégie une convergence d’intérêts avec Moscou. Ensemble, ces deux puissances ont développé une approche insidieuse pour affaiblir l’Arabie Saoudite et miner son alliance avec les États-Unis.


II. Le 11 Septembre 2001 amorce la rupture dans le cognitif

Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant stratégique global. Une narration immédiate a émergé, cherchant à incriminer directement l’Arabie Saoudite dans les attaques.

  • Zacarias Moussaoui, seul survivant du commando terroriste, a maintenu un récit selon lequel l’Arabie Saoudite serait l’instigatrice des attentats.
  • Cette accusation, bien qu’incohérente dans son exécution, a fracturé durablement la relation entre Riyad et Washington, laissant le doute planer sur le rôle des Saoudiens.
  • Dans le même temps, une autre ligne de désinformation se mettait en place, affirmant que les attentats du 11 septembre avaient été orchestrés par les États-Unis eux-mêmes, ce qui permit de détourner l’attention des vrais instigateurs.

Cette technique est une signature de la désinformation russe, dont l’un des principes est de toujours injecter des récits contradictoires afin de semer la confusion. L’ouvrage L’Effroyable Imposture de Thierry Meyssan, qui popularisa l’idée d’un complot interne américain, fut fortement relayé par la Russie et trouva refuge sous la protection du régime syrien.

Tout, jusqu’à cette chaussure volant vers le président George Bush en conférence de presse, et y compris, jusqu’au soliloque grandiloquent de Dominique de Villepin, participe de ce travail.

Les bénéficiaires réels des attentats du 11 septembre furent donc la Russie et l’Iran, qui parvinrent à :

  • Isoler l’Arabie Saoudite en l’exposant comme responsable implicite.
  • Plonger les États-Unis dans des guerres interminables qui affaiblirent leur prestige et leur économie.
  • Créer un climat de suspicion et de division entre alliés occidentaux. Ouvrir un boulevard à une phénomène d’autosuggestion qu’il suffit de maintenir comme des fers au feu, chez les islamistes les plus radicaux.

III. La Perversion Stratégique de l’Islam Chiite

Si l’on suit la logique de guerre métamorphe, un autre axe majeur se dessine : la Russie et l’Iran ont appliqué une méthode de perversion et d’instrumentalisation de l’Islam chiite, comparable à ce que la Russie tsariste avait fait avec Le Protocole des Sages de Sion, un faux antisémite destiné à discréditer les Juifs.

  • En soutenant l’Iran chiite et Bachar El-Assad, la Russie a laissé l’Arabie Saoudite et le sunnisme sous pression.
  • En favorisant des mouvements terroristes radicaux, elle a contribué à associer l’islam chiite à une posture de résistance, renforçant ainsi l’image de l’Iran comme seul rempart contre l’hégémonie occidentale.
  • En injectant une narration victimaire, elle a transformé des luttes géopolitiques en causes émotionnelles globales, séduisant les masses occidentales et encourageant une révolte idéologique contre leurs propres systèmes.

L’instrumentalisation de la cause palestinienne, qui fusionne si bien avec d’autres luttes (climat, racialisme, féminisme intersectionnel, anticapitalisme), participe de cette même stratégie. En créant un prisme idéologique unique, cette guerre métamorphe absorbe toutes les révoltes en une seule lutte globale, rendant toute opposition impossible sans paraître cynique ou inhumaine.


IV. La Guerre de la perception et la question du Libre-Arbitre

Le 28 octobre 2022, un événement a marqué un tournant symbolique dans la bataille des narratifs. Le même jour, Vladimir Poutine dénonçait l’Occident comme un régime étouffant la liberté d’expression, et Elon Musk rachetait Twitter en prétendant libérer « l’oiseau bleu ».

Cette simultanéité pose question : simple coïncidence ou convergence stratégique ?

Si MAGA et MEGA (Make America Great Again / Make Europe Great Again) font du free speech l’alpha et l’oméga de la démocratie, alors le véritable enjeu est celui du libre-arbitre. La souveraineté de chacun à penser correctement le monde, à discerner entre les illusions créées par cette guerre métamorphe et la réalité des faits, devient le dernier rempart contre cette offensive insidieuse.

L’actualité récente témoigne d’une ingénierie du chaos, où les tensions sociales sont méthodiquement exacerbées.

  • En France, la crise franco-algérienne n’a pas encore révélé tout son potentiel de déstabilisation.
  • Les réseaux sociaux ont amplifié des narratifs instrumentalisant les tensions ethniques et identitaires.
  • Des précédents existent : les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 à Cologne, exploitées au bénéfice de l’AfD, ou la narration autour des migrants « mangeurs de chiens » aux États-Unis, illustrent un savoir-faire précis dans l’orientation de l’opinion publique.

La guerre métamorphe constitue un défi existentiel pour l’humanité entière

Nous sommes confrontés à une guerre qui ne dit pas son nom, qui ne se combat pas avec des armes traditionnelles, mais qui déstabilise et infiltre. La Russie et l’Iran ont compris que le véritable champ de bataille est celui de la perception, et qu’il est possible de gagner sans jamais livrer une bataille frontale.

Or, si les dés géostratégiques tombent systématiquement du côté des intérêts russes, il serait conforme à l’instinct de conservation de se demander si les dés ne sont pas pipés…

Reconnaître la nature de cette guerre est la première étape pour élaborer une riposte adaptée et rétablir une stratégie souveraine face à cette menace protéiforme.

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