Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, alerte : les Frères Musulmans seraient en train d’infiltrer la République.
À la faveur de la déclassification d’un rapport gouvernemental*, il parle d’entrisme islamique, et va jusqu’à désigner cette mouvance comme une menace existentielle, avec pour but ultime : « faire basculer la France sous la charia ».
Il accrédite ainsi l’idée que la République, l’État de droit et la nation française n’auraient plus de noyau suffisamment solide pour résister à une mouvance d’influenceurs et de prêcheurs tapis dans quelques mosquées.
C’est un cadeau curieux fait à des gens qui n’en demandent pas tant.
Hiérarchie des périls
Permettez qu’on interroge la hiérarchie des menaces. Pourquoi Bruno Retailleau — ancien proche de François Fillon — a-t-il tant de facilité à désigner l’organisation des Frères Musulmans comme étant l’ennemi existentiel, et tant de mal à user du même terme pour qualifier Vladimir Poutine ?
Poutine, lui, mène une guerre hybride — j’ai même utilisé le terme de guerre métamorphe, pour désigner une guerre qui prend la forme de nos envies et de nos fantasmes, et qui, ce faisant, devient non seulement méconnaissable, mais désirable.
Nous secrétons collectivement – il dispose à cet effet des relais intérieurs pour propager les phéronomes déclencheurs- l’envie de nous en remettre à lui.
Poutine brandit l’arme nucléaire comme menace constante. Il agresse l’Ukraine. Il ne s’arrêtera que s’il est arrêté.
Sa Russie agit, tue, corrompt, avance. Elle déploie ses agents, infiltre les esprits, altère nos perceptions, retourne notre langage.
Et il faut bien le reconnaître : elle gagne du terrain.
Si elle gagne dans nos têtes, nous n’aurons mécaniquement plus d’autre issue que de livrer la guerre qui s’abreuvera d’une mer de sang parce qu’elle sera mondiale (Honneur à l’Ukraine qui souffre sur le front) — ou de nous soumettre à sa loi.
C’est cela qui est en jeu et qui justifie de faire attention à la manière de désigner des ennemis, sans prendre le risque de les désigner à la légère.
La faute stratégique
C’est à cette aune qu’il faut juger la décision de qualifier de « menace existentielle » une mouvance qui, si elle existe, n’a ni chars, ni missiles, ni plan d’annexion.
C’est une faute stratégique majeure.
Elle sert des intérêts partisans, conforte une posture présidentielle, mais elle désarme la France en galvaudant la parole de l’État.
La parole de l’État n’est pas un outil de communication.
Elle est un engagement solennel, une boussole pour la nation.
La traiter avec légèreté, c’est affaiblir la République.
Cette légèreté renforce les ennemis de l’Europe, et ceux du monde libre.
La stratégie de Moscou y triomphe.
La Russie paierait très cher pour :
→ Ne plus apparaître comme une menace directe.
→ Se faire passer pour le dernier rempart contre la décadence occidentale — y compris contre l’islamisme.
Prenons garde à ne pas exaucer ou devancer sa volonté.
Or, nous reprenons les mots qu’elle nous mâche, les peurs qu’elle instille dans ses laboratoires secrets, et nous adoptons, finalement, l’agenda politique de ses priorités.
A mes yeux, c’est cela qui se passe.
Une nation ne peut pas avoir deux ennemis existentiels.
S’il y en a deux, l’un est une chimère — un monstre que l’on s’invente soi-même — ou un leurre — un monstre que quelqu’un a placé dans notre esprit. Et souvent, le leurre est une chimère nourrie par l’ennemi véritable.
Le système d’information — dont j’ai souvent dénoncé la faillite — donne à manger à ce leurre, jusqu’à lui offrir une place démesurée dans notre paysage mental.
La vraie question
Alors posons-la, clairement :
Entre le péril russe — tangible, militaire, stratégique, brutal — et le spectre d’un basculement vers la charia — hypothétique, fantasmé, peut-être même instrumentalisé — lequel est réel? Lequel est un leurre?
Il y a, bien sûr, un sujet autour des Frères Musulmans. Mais en faire l’ennemi suprême, au moment où l’Histoire frappe à nos frontières, c’est se tromper de combat.
La lucidité n’est pas une option.
La sécurité des Français, leur intégrité, leur souveraineté, ne sont pas des variables de sondage. Elles exigent du courage. Elles exigent de la lucidité.
Le ministre de l’Intérieur doit désigner le bon ennemi. Ne pas flatter celui qui rêve de l’être. Et ne pas dissimuler celui qui agit déjà, chaque jour, contre nous.
Subversion du réel
Il est temps de regarder en face les mécanismes de subversion du réel. De comprendre comment, souvent par facilité dialectique, et parfois par soumission à une puissance étrangère — l’intelligence ennemie au sens littéral —, la sphère politique devient l’instrument inversé de la vérité.
La menace est cognitive.
Et dans cette guerre-là, la souveraineté de l’analyse est un devoir. Elle appartient au peuple. Elle lui est due.
C’est elle qui signe sa liberté. C’est elle qui fonde sa dignité.
#LeCID #FreresMusulmans
*Dont l’opportunisme est à clarifier, peut-être.
