Chronique d’une guerre métamorphe
L’extrême-droite parade aujourd’hui en France. Jamais elle n’a été aussi proche du pouvoir.
Pendant ce temps, la République se replie. Le peuple est pris dans une nasse invisible, tissée d’algorithmes, de récits toxiques, et de fausses évidences.
Le système d’information — jadis rempart — a livré les esprits aux démons : division, xénophobie, nationalisme. Ce ne sont pas des idées. Ce sont des vecteurs. Des agents. Des armes.
Je parle ici de guerre métamorphe.
Une guerre sans déclaration. Sans frontières visibles. Mais où les fractures communautaires, identitaires, religieuses sont instrumentalisées. Par des mains étrangères. Par des intérêts obscurs. Par des mécanismes bien rodés.
L’antisémitisme gangrène certaines couches. L’antisionisme devient un outil. Manipulés par des extrémismes — y compris ceux d’une droite radicale israélienne — et relayés par des influenceurs bien placés. Tout cela converge vers un seul but : jeter l’opprobre sur l’islam, le confondre avec le Hamas, étouffer l’humanité de Gaza.
Et dans cette confusion, certains affirment :
« L’islamophobie n’existe pas. »
Tout est mis dans le même sac. La parole est piégée. Le discernement, interdit.
Comme dans un système dépressionnaire, les couches chaudes de colère croisent les couches froides de ressentiment, et créent des tempêtes cognitives.
Mais ces tempêtes n’émergent pas du ciel. Elles sont provoquées. Par des drones à ailes de papillon. Des programmes invisibles, conçus pour flairer les humeurs de l’opinion et déclencher la tornade au bon moment.
Et la République ? Elle chancelle. Elle ne parle plus. Elle est noyée.
Michel Rocard nous avait mis en garde dans une formule devenue mantra :
« Il faut toujours préférer l’hypothèse de la bêtise à celle du complot. C’est moins dangereux et plus fréquent. »
Mais cette phrase, tant de fois répétée, peut devenir un sommeil de la raison, un mécanisme d’autocensure. Comme si la bêtise devait être éternellement présumée… même quand l’organisation, la récurrence, la pénétration des récits laissent entrevoir une logique. Une intention. Des moyens. Des relais.
Des agents étrangers tagguent une étoile de David sur une école juive. Ou une svastika sur une permanence. On dit : n’exagérons rien. On répète : n’allons pas imaginer…
Mais s’ils savent instrumentaliser un pôle, ne sauraient-ils pas en activer d’autres ?
Après le 11 septembre, un livre grotesque — L’Effroyable imposture — prétendait que les États-Unis s’étaient attaqués eux-mêmes. La thèse était absurde. Mais elle a connu un succès. Pourquoi ? Parce qu’elle a ouvert un gouffre.
Et si le vrai complot approchait toujours masqué par un faux ? Et si le grotesque servait de paravent ? Et si le tabou n’était pas un accident, mais un verrou stratégique ?
Il faut aussi reconnaître ceci : les démocraties, comme les États intègres en général, sont désarmés face à cette guerre. Y compris cognitivement.
Ils se méfient des raccourcis. Ils préfèrent le doute à l’intuition. Ils avancent à pas comptés, là où l’ennemi se faufile, joue, saute, mime, ment. Leur éthique les ralentit. Leur attachement à la vérité les rend vulnérables. Leur refus de penser l’impensable — par crainte d’y ressembler — les empêche souvent d’en percevoir les contours.
Alors ils ont toujours, à minima, un coup de retard.
L’impuissance de la République fait peine à voir.
L’auteur de la modeste réflexion stratégique « Vulnérabilité des démocraties au temps de la mondialisation », que je n’ai pas cessé de poursuivre, ne peut s’y résoudre.
