Pour sortir du dédale incompréhensible des narratifs, tout sujet finissant en débat sur le sexe des climatiseurs, le fil de la laïcité à suivre scrupuleusement était le fil d’Ariane vers la sortie. Vers l’Alliance.
« Interdiction du niqab et de la burqa au Kazakhstan, pays à majorité musulmane dont le président Kassym-Jomart Tokaïev est lui-même musulman. Deux ans auparavant, le gouvernement avait interdit le port du foulard à l’école. »
Ce que ce type d’énoncé laisse croire, sous couvert d’évidence, c’est que si un pays musulman interdit, au nom de l’ordre public, le port du niqab ou du voile, alors la France – qui n’est même pas un pays musulman se doit de se débarrasser de la moindre particule du moindre scrupule pour adopter ce que, prophète de tristesse, le jeu sournois des circonstances exige.
Ce raisonnement est faux. C’est un sophisme.
Et les sophismes d’aujourd’hui sont les armes de guerre de demain.
Car ils fabriquent l’adhésion automatique. Ils manipulent ce qui, à force de fatigue civique, passe pour du bon sens.
Ce genre de raisonnement fait glisser un bulletin dans l’urne à votre place.
Il saura convoquer vos frustrations, vos inquiétudes, vos colères, pour vous désigner – avec une évidence meurtrière – le camp du bon sens.
Le Kazakhstan en devient alors le parangon. Un pays musulman, capable, lui, de défendre la République.
Et nous ? Nous serions devenus faibles, incapables de voir le danger, paralysés par le droit, entravé par l’idéal républicain.
Errare humanum est, perseverare diabolicum.
L’erreur est humaine, mais persister dans l’erreur est diabolique.
Ce que la locution latine sous-entend, en imposant par un simple biais son retournement, c’est que les gouvernants qui ne cèdent pas à ce « bon sens » sont traîtres à leur peuple. Ils sont diaboliques. Et que ceux qui oseront s’opposer à cette ligne, tergiversent, sont eux aussi condamnés par le jugement populaire. L’histoire de l’Europe, depuis que Poutine y a été abandonné au seuil, est tissé par la force de ce renversement.
C’est un retournement redoutable. Une dyslogie.
Car s’ils veulent rester fidèles au serment républicain, nos gouvernants sont désormais forcés d’être traîtres… au bon sens.
Et dans cette logique viciée, toute défense du droit devient trahison.
Il ne faut pas croire que cette inversion soit un hasard.
Elle est le fruit d’un travail d’ingénierie politique invisible, où des esprits retors ont perfectionné une inédite dialectique de la guerre, pour armer les peuples contre eux-mêmes.
Et ce que cette dialectique fait monter, ce ne sont pas des identités — ce sont des puissances, des prétendants au pouvoir, des stratégies de renversement.
Nous savons qui sont celles et ceux que cette dynamique conduit au pouvoir.
Et nous savons qui elle sert, au-delà de l’illusion des débats locaux.
Le mouvement réel de la géopolitique, celui qu’on ne voit pas sous les écrans de fumée, est à l’œuvre.
Il déploie ses relais dans un théâtre d’ombres où l’islamisme-Potemkine comble le christianisme-Potemkine, soutenant un nationalisme-Potemkine, au service d’une Russie-Potemkine.
L’architecture, au-delà des modalités, de l’insaisissable scène de cette guerre fractale de fracture du noyau de la civilisation, est là: dans la potemkinisation de tout.
L’architecture est fractale, mais le centre est clair : une guerre du noyau civilisationnel, sous les oripeaux de la défense des valeurs.
En France, par bonheur, il se cristallise, finalement, dans le périmètre, si vaste et fragile ontologiquement, de la Loi de 1905, celle qui établit la laïcité à la française. Par chance, elle est extrêmement controversée, et la controverse, est en soi – au-delà des éclats de dispute qui focalisent l’attention – un niveau de lecture révélateur.
C’est sa valeur ontologique qui vaut à la laïcité de se voir provoquée, comme elle est provoquée.
Il faut la faire tomber, la faire plier sous toutes les injonctions, différentes dans leurs expressions, convergentes quant au résultat à obtenir.
Et c’est pour cela qu’il ne faut – à aucun prix – que la laïcité devienne le Waterloo du XXIe siècle.
La tombe de l’universalisme.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas un choc des identités.
C’est une prise de pouvoir sur le Réel à partir de la fiction sur les identités. Ce n’est pas un enjeu d’identités qui s’affrontent mutuellement; la légitimité revenant à celui qui défend les valeurs occidentales, chrétiennes, le mode de vie, contre celui, le pantomime islamiste, qui accrédite, avec une persuasion parfois si démonstrative, qu’il aspire à le changer et, par cette seule aspiration, nous convainc qu’il parviendraient à le faire.
Et pour que cette prise réussisse:
1/Il faut convaincre qu’il y a, pour remplacer le mur vivant d’étoiles, un horizon des événements, tel qu’on le décrit en astrophysique. En astrophysique, il s’agit de la limite autour d’un trou noir au-delà de laquelle aucune information, lumière ou matière ne peut s’échapper. C’est le point de non-retour. Ce qui est aigu, ici, pour parler de ce moment d’histoire si particulier où le débat sur le sexe des climatiseurs rivalise avec celui sur le sexe des mots ou celui de tant de sujets qui d’anodin capturent toutes les passions, c’est qu’aucune information véritable n’échappe à l’attraction du trou noir.
Il fallait nous persuader que cet horizon est celui du choc des civilisations.
Samuel Huttington a placé cette limite. Si un intellectuel, avec son autorité, installe cet horizon des événements, il valide tout ce qui commence et inspire, pour qu’il soit confirmé, surtout, par sa thèse, tout ce qui suit. Le génère-t-il comme est susceptible de le faire une prophétie autoréalisatrice, et sous quelles injonctions? Il faut se méfier des intellectuels. On ignore ce qu’ils portent. Ils ignorent peut être, eux-mêmes, ce qu’ils portent. Ce sont eux, parfois, sous leur docte figure, les cavaliers de l’apocalypse les plus à craindre. Ils introduisent l’animal en chevauchant les fougueux destriers de la division, prologue de la pensée unique, tandis que l’éclairé avance sur l’âne-dromadaire depuis le désert.
Il fallait d’abord qu’un penseur installe cet horizon. Ce fut Samuel Huntington.
Son Clash des civilisations n’a pas seulement décrit une menace :
il a validé un paradigme, installé une logique d’affrontement qui se renforce tout seule puisque les dynamiques prennent placent dans ce grand bal des maudits.
2/A l’intérieur de cette profondeur, il faut que s’animent les postures nécessaires. Les créature viennent au paradigme comme les moustiques au réverbère. Il suffit d’allumer les réverbères. Il y en a une nuée.
3/Il fallait aussi, et surtout, donner un nom à un danger existentiel pour coaliser les populations et gommer, le vrai ennemi existentiel. Un autre intellectuel, beaucoup plus doctrinaire, Renaud CAMUS, l’a conceptualisé sous la forme du Grand Remplacement. Un succès plus lent, plus polémique que celui du Clash des Civilisations, car plus sulfureux, mais qui s’impose à de plus en plus d’esprits.
On le voit: la fin du monde n’a pas besoin de grand chose, profitant de la chaotisatisation du monde, pour parvenir à sa fin. Le début du monde lui non plus, ne nécessite grand chose. Presque personne.
Alors, face à cette impérialisme cognitif irrésistible tant qu’il est impénétrable, que vaut la laïcité à la française, petite chose symbolique tissé par les Parques, gardiennes de Devenir et tisseuses du Destin ?
La laïcité est notre fil d’Ariane. Le couper, c’est s’enfermer dans le dédale du narratif qui est imposé à notre cerveau.
Ce n’est donc pas un hasard si c’est à partir du fil d’Ariane de la laïcité française, sur laquelle s’exercent des tensions titanesques pour déconsidérer le vivre-ensemble, visant à faire imploser la République, que le phénomène s’est trahi. Il suffit de le lire sans a-priori – ce qui est le plus difficile – hors sa propre narration, hors de toute narration. L’imbrication illisible des logiques devient lisible.
Donc, la France n’a pas moins de devoirs que le Khazasthan. Elle en a plus, parce qu’elle a la laïcité à défendre et que cette laïcité émane directement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,
pas de celle qui a apposé des étoiles jaunes pour distinguer les individus, et les sacrifier au mirage des idéologies fanatiques.
Elle doit rester la condition du « vivre ensemble », qui n’est pas le prétendu machin à bisounours, pour reprendre à la lettre ce à quoi l’idéal de convivialité, préalablement vilipendé, a été moqué. C’est la déclinaison concrète du Devenir sur lesquelles veillent, en tissant, les Parques.
L’antinomie du vivre-ensemble, comme il m’est arrivé de le signaler, c’est mourir-seul.
Il s’est trouvé des foules de gens, d’illustres intellectuels parfois et des intelligencces que l’on aurait pu croire mieux éclairés, pour jouer à clouer l’unité de sens que cela représente au pilori.
Le dernier mot sera rendu à ce que de droit.
Le dernier mot sera:
Fiat Lux.
