Comment le principe de précaution a effacé le principe de souveraineté

Non seulement l’accord UE–US à 15 % est bon — au pire neutre — mais il sécurise la diversification des sources énergétiques, en desserrant l’étau de Gazprom. Pourtant, le vrai sujet qu’il soulève est moins ce qu’on achète que ce qu’on a sacrifié : les gaz de schiste, qui arment l’industrie américaine et sa balance commerciale, mais que l’Europe a interdits sans débat éclairé. La réponse à cette abdication n’est pas flatteuse. Et si l’on ajoute à cela le sabotage écologique de l’indépendance nucléaire française, la résistance systématique à l’interconnexion des réseaux et au mix énergétique, on obtient une étrange polyphonie — où chacun joue sa partition, mais où l’on sait toujours qui tire l’épingle du jeu : la Russie.


Alors que l’Union européenne s’est engagée dans un accord massif d’importation d’énergie américaine (750 milliards $ sur trois ans, essentiellement du GNL issu de la fracturation hydraulique), elle continue de refuser toute exploitation domestique de ses propres réserves de gaz de schiste, pour des raisons politiques, environnementales et idéologiques.

Or, les réserves existent, et elles sont substantielles.

Réserves de gaz de schiste – Comparatif mondial
Zone Réserves techniquement récupérables (est.)% des réserves mondiales
États-Unis~17–19 Tcm~25–30 %
UE27 + UK~14 Tcm~14–16 %
Ukraine seule~1,2 Tcm~1,5 %
Total mondial~135 Tcm 100 %
Tcm = trillion cubic meters = mille milliards de m³.
Source : EIA (US Energy Information Administration), JRC (Commission européenne).

Répartition européenne
France : réserves majeures (bassin parisien, Sud-Est) — exploitation interdite.
Pologne : projets abandonnés sous pression sociale et diplomatique.

Roumanie, Bulgarie : permis retirés ou non renouvelés.
Ukraine : grands gisements dans le Donbass et à l’ouest du Dniepr, peu exploités en raison de la guerre et d’un sous-investissement structurel.

👉Influence étrangère et opposition au fracking (fracturation hydraulique)
Dès 2014, l’OTAN (via Anders Fogh Rasmussen) et des agences de renseignement américaines ont pointé une influence russe sur les campagnes anti‑fracking en Europe.

Des rapports du Sénat américain et de la CIA indiquent que la Russie aurait soutenu, directement ou indirectement, des ONG environnementalistes pour empêcher l’émergence d’une autonomie énergétique européenne.

Objectif : préserver la dépendance européenne au gaz russe exporté par Gazprom.

Résultat : une dépendance reconduite sous un autre drapeau

L’UE rejette le fracking sur son sol, mais importe massivement du GNL américain produit par cette même méthode.
Ce refus s’est traduit par une asymétrie énergétique durable, affaiblissant la compétitivité industrielle et la souveraineté stratégique du continent.

Ce qu’on a refusé par vertu écologique (ou par idéologie), on l’achète aujourd’hui par nécessité stratégique.

En conclusion

L’Europe a payé — et paiera encore — le prix de son abstention énergétique et de ce que les historiens futurs seront libres de considérer comme une, parmi tant d’autres, aberration démocratique favorisée par le système d’information.


Ce refus collectif d’explorer ses propres ressources, motivé en partie par des récits hostiles à son autonomie, a laissé la porte ouverte à un jeu de dépendances déguisées.
Il est temps de poser la question aux décideurs, aux médias et aux opinions publiques :
Qui assumera les conséquences de ces choix?
Et à qui a réellement profité cette cécité organisée?

Il va falloir, à un moment, mettre les acteurs politiques, les médias qui ont alimenté le rejet de la fracturation hydraulique en relayant des risques qui se sont pas vérifiés aux Etats-Unis, et en mettant les populations devant leur responsabilité.

Les risques justifiés observés aux États-Unis — eau contaminée, santé compromise, séismes locaux — confirment que la fracturation hydraulique comporte des dangers non négligeables, même si certains sont rares ou géographiquement spécifiques.

💡En France et en Europe, le BRGM et les autorités scientifiques soulignent ces risques, mais considèrent qu’ils peuvent être maîtrisés dans un cadre réglementaire rigoureux. L’interdiction en France n’est donc pas strictement basée sur une absence de risques, mais sur une priorité politique et sociétale à limiter l’incertitude, surtout dans un contexte géopolitique sensible.

Cela donne un argument de fond : les critiques actuelles du GNL américain basé sur le fracking méritent d’être relativisées au regard du risque déjà maîtrisé que l’UE refuse chez elle — ce qui constitue plutôt une décision stratégique que scientifique.

⚖️ Principe de précaution versus principe de souveraineté : la question énergétique sous son vrai jour

L’activité humaine s’est toujours exercée à la frontière du risque. Il n’est rien de “naturel” à creuser des galeries à 800 mètres sous terre pour extraire du charbon, à détourner des fleuves, ou à faire jaillir du sol du gaz sous pression. Et pourtant, c’est ainsi que les civilisations ont prospéré : en acceptant le risque pour le maîtriser, en le bornant pour le rendre fertile.

Le principe de précaution, lorsqu’il devient principe d’abstention, fige toute ambition, toute exploration, toute souveraineté. Il repose sur une idée illusoire : qu’il serait possible d’organiser le monde sans prendre le risque d’agir. Or, ne pas agir est aussi un risque — parfois plus lourd encore.

Le principe de souveraineté, quant à lui, n’est pas un appel à l’imprudence. Il est le rappel que toute décision politique sérieuse consiste à arbitrer entre plusieurs formes de risques, à les hiérarchiser, à les contenir. Il est l’expression du courage civilisé, celui qui consiste à produire ce que l’on consomme, à décider de ce que l’on tolère, à assumer les conséquences de ses choix.

Aujourd’hui, l’Europe refuse d’exploiter ses propres ressources énergétiques — au nom de la précaution — tout en achetant à prix fort le produit du même risque assumé ailleurs. Elle importe des molécules, mais aussi des décisions. Et ce faisant, elle s’interdit d’écrire sa propre stratégie.

On oublie trop vite que les zones les plus fertiles de l’histoire humaine — les deltas, les plaines inondables, les gisements de minerais — étaient aussi les plus dangereuses. C’est dans ces zones que les civilisations ont appris à organiser le risque, à l’anticiper, à le domestiquer. La modernité technique, scientifique, démocratique, n’a jamais supprimé le risque : elle l’a encadré.

Le vrai débat n’est pas entre précaution et danger, mais entre maîtrise lucide et dépendance aveugle.
À force de ne plus vouloir risquer chez soi, l’Europe finit par subir les risques que d’autres décident pour elle.

Vous me remercierez plus tard. – Adrian Monk

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