Réponse à l’article de Herb Keinon – Tribune du Jérusalem Post
Par Daniel Ciccia
Ce que l’État d’Israël est en train de perdre, aujourd’hui, contrairement à ce que développe Herb Keinon dans sa tribune publiée le 01/08/2025 dans le Jerusalem Post ne relève pas d’un simple déficit de communication, ni d’un combat perdu dans la guerre des images. Ce que Herb Keinon décrit comme un « désastre stratégique » dû à une absence de récit maîtrisé, n’est pas une défaite dans le domaine du storytelling diplomatique – c’est bien plus profond : c’est la perte d’un crédit moral et historique qui avait, jusqu’ici, été largement accordé à Israël, souvent même à l’aveugle.
Israël ne perd pas une bataille de perceptions. Il perd la confiance lucide des peuples et des États, y compris parmi ses soutiens les plus solides. Et cela ne résulte pas d’un biais médiatique, ni d’un prétendu échec à faire entendre “le bon côté de l’histoire”.
Cela provient de ce que signifie l’extrême-violence administrée à Gaza, en termes d’opportunisme pour asseoir une hégémonie territoriale, et expulser, définitivement, les Palestiniens de la possibilité de disposer, eux aussi, de leur foyer national, d’investir leur propre histoire.
Cette violence n’est pas un simple débordement de la guerre. Elle s’inscrit dans une stratégie où le hamas intervient lui-même pour empêcher la réalisation.
Alors, oui, l’initiative visant à relancer la solution à deux États répond à l’émotion publique et à la souffrance du peuple palestinien, laminé entre le hamas et tsahal, mais elle n’est pas dictée que par l’émotion.
Une analyse rationnelle s’impose peu à peu, et elle commence à dresser les fondements d’un raisonnement de droit, de réparation et de justice, en regard de ce qui s’est passé, de ce qui se passe, pour que la spoliation d’un droit fondamental des Palestiniens échoue — parce que la trame sur laquelle cela se joue est désormais sujette à caution.
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Une indignation politique, pas seulement morale
L’indignation qui monte n’est pas conjoncturelle, et elle n’est pas que morale. Elle s’appuie sur une prise de conscience stratégique : la politique israélienne sous Benyamin Netanyahou – plus de vingt ans au pouvoir, une longévité proche de celle de Vladimir Poutine – a instrumentalisé le flou post-Rabin pour étendre méthodiquement la frontière d’un Grand Israël qui ne dit jamais son nom qu’aux marges des coalitions gouvernementales, sans jamais assumer sa rupture avec les accords d’Oslo.
Ce flou a permis à Israël de conserver une posture ambiguë entre discours de paix et politique de colonisation. Mais ce temps est révolu. Le temps de la netteté est venu. Et cette netteté n’est pas imposée par les ennemis d’Israël — elle est exigée par les démocraties amies, par la société civile mondiale, et aussi par de nombreuses voix juives elles-mêmes, lassées de voir leur histoire prise en otage d’un projet politique qui les dépasse.
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L’Europe a ouvert la voie, avec la tête haute
C’est l’Europe, aujourd’hui, qui redonne à la diplomatie sa dignité.
La France, en portant avec l’Arabie saoudite une relance active de la solution à deux États, assume de regarder l’Histoire en face avec le regard droit.
Elle ne se laisse plus dicter sa politique étrangère par la seule inertie des alliances, mais par une exigence de cohérence entre ses principes, son passé et sa responsabilité face à l’avenir.
L’Allemagne, quant à elle, amorce une rupture symbolique majeure : elle ne se satisfait plus d’un soutien inconditionnel et commence à se libérer du réflexe de solidarité absolue dicté par sa mémoire.
Le Royaume-Uni, de son côté, opère un tournant diplomatique notable, illustré jusque dans la mise en scène des symboles et le changement de pied consistant à rallier la position française d’une reconnaissance de la Palestine.
Il ne s’agit plus de réagir à chaud aux images de Gaza. Il s’agit de reconnaître une impasse stratégique et morale, et d’agir en conséquence. Ce que disent ces pays, explicitement ou implicitement, c’est que le régime d’impunité d’Israël, fondé sur la Shoah, ne peut être éternel, et que la solution à deux États est la seule voie encore viable — à condition qu’elle ne soit plus une fiction.
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Une guerre de narratif ? Face à une armada diplomatique
Affirmer qu’Israël serait victime d’un déficit de communication relève d’une inversion spectaculaire de la réalité. Jamais un État n’a disposé d’un appareil aussi massif et internationalisé de défense narrative : think tanks, diplomaties parallèles, relais dans la presse, influence universitaire. La France elle-même en est un exemple frappant.
Car si l’on a pu dénoncer, souvent à raison, la montée d’un “islamo-gauchisme” dans certaines sphères intellectuelles, on oublie trop vite de nommer un autre phénomène : la diffusion du discours pan-sioniste dans les institutions académiques, les médias, les fondations. Celui-ci empêche une pensée critique d’émerger, en brandissant l’accusation d’antisémitisme contre quiconque remet en cause la politique israélienne actuelle; l’antisionisme étant, par définition, un antisémitisme dont on peut se demander comment et pourquoi l’ultragauche prohamas l’endosse aussi docilement sachant qu’il renforce la posture d’Israël.
La bêtise n’explique probablement pas tout. Les doctrinaires sont rarement stupides.
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Nommer le pan-sionisme
Le pan-sionisme, que je propose de nommer ainsi, désigne ce débordement idéologique du sionisme historique vers une logique d’expansion permanente, d’amalgame systématique et d’impunité politique. Cette confusion entre le judaïsme, le peuple juif et l’appareil d’État israélien actuel est non seulement intenable, mais dangereuse.
Elle fait obstacle à la paix, car elle interdit toute critique politique sous prétexte de protection mémorielle. C’est, comme la kabbale pour le soutenir, un point Godwin révulsé.
Refuser la lesture que livre et propage le pan-sionisme, ce n’est pas nier l’histoire juive. C’est refuser qu’elle soit instrumentalisée pour occulter les souffrances d’un autre peuple. C’est protéger le droit d’Israël à exister dans un cadre juridique partagé, et non sur les ruines du droit.
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Un paradoxe révélateur : pan-sionisme et islamo-gauchisme se légitiment mutuellement
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que le pan-sionisme tire une partie de sa légitimité de l’existence même de ce qu’il dénonce : l’islamo-gauchisme. Chacun renforce l’autre. L’un brandit la menace de l’autre pour justifier ses excès, dans une symbiose polémique qui empêche toute pensée nuancée. La pensée démocratique est enfermée dans la confrontation et le paroxysme raavageur des opinions. Toutes les formes de terrorismes y font leur lit.
Dans ce contexte, les manipulations russes, qui visent à exacerber les clivages identitaires et à disloquer les démocraties de l’intérieur, viennent forcer les traits. Mais ce brouillage cognitif, en projetant une lumière crue sur la mécanique des extrêmes, finit aussi par révéler la structure sous-jacente : il met à nu les réflexes conditionnés, rendant visible ce qui était confus.
Dès lors, ce chaos apparent peut aussi accélérer la clarification nécessaire, et forcer les sociétés démocratiques à retrouver leur discernement et la voie de la real politique, la grande politique. L’Europe semble en prendre le chemin. D’autres suivront.
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Trump, Netanyahou, Poutine : le réel s’impose
Donald Trump assure un soutien indéfectible à Israël et conteste, aujourd’hui, dans son style bien identifiable, l’opportunité d’accorder la réconnaissance d’un Etat Palestinien. Beaucoup l’ont caricaturé, mais en réalité, il agit avec une forme de lucidité stratégique et d’une certaine manière, comme un révélateur, devant lequel Poutine montre le vrai visage, par exemple, de sa Russie.
Et il a probablement compris pourquoi Israël s’est opposé à son propre bilan concernant la destruction du potentiel nucléaire iranien : là où Trump cherchait à contenir, en affirmant que la menace d’une capacité nucléaire militaire iranienne n’était plus, Israël, lui, a contesté ce bilan et ouvert une autre « narratif », pour dire que le potentiel nucléaire était sauf. Il a réclamé des frappes massives et une guerre totale.
Cela n’appartient pas à l’actualité. Cela révèle des traits. Ce différend révèle deux choses : Trump ne suit pas aveuglément Israël, mais Trump sait lire le réel. Il est en train de le lire. Et c’est peut-être ce qui, aujourd’hui, distingue sa démarche et rend pathétique l’exercice de consdencendance auquel s’est livré, il y a quelques semaines Benjamin Netanyahou en lui remettant copie du courrier qu’il a adressé au jry des Nobels pour désigner Donald Trump comme le lauréat parfait.
Il y a des cinémas qui ne passent pas à Hollywood. Hollywood n’est pas une machine à cauchemar. C’est une machine à rêve qui a, probablement, des scénaristes talentueux.
