L’opération « Les Chariots de Gédéon » n’a pas commencé le 16 mai 2025. Elle trouve sa matrice en octobre 2011 avec l’échange Shalit. Plus l’environnement international se tend, plus le Hamas — par ses coups de force — conforte la posture d’Israël, qui s’en nourrit et la renforce en retour. Ce texte explicite cette circularité et montre comment le baptême biblique de 2025 officialise une logique engagée quatorze ans plus tôt. Gédéon passa à table.
Dans la première partie de cette analyse, je posais la question qui saute aux yeux mais que personne ne pose et à laquelle personne ne souhaite avoir à répondre:
- Si Israël possédait un pouvoir occulte pour manipuler l’islam radical, il n’obtiendrait sans doute pas mieux que ce que le Hamas lui offre naturellement. La question fait donc réponse : Gédéon a officieusement commencé en 2011. Le nom posé en 2025 n’est pas un habillage ; c’est l’aveu d’une continuité.
À intensité internationale croissante (choc géopolitique, pression diplomatique, cycles d’otages), les actions du Hamas augmentent la latitude politico-militaire d’Israël (sécurité, coalition interne, image externe).
Réciproquement, certaines décisions israéliennes renforcent l’utilité stratégique du Hamas dans le récit global. Ce couplage forme une boucle de co‑production,avec pour conséquences observables :
- Chaque « coup » du Hamas (roquettes, incursions, opérations souterraines) re‑légitime la réponse maximale israélienne (opérations terrestres, refus de trêve, doctrine de déplacement).
- Le durcissement israélien requalifie le Hamas en acteur central, au détriment d’alternatives politiques palestiniennes.
- Plus la scène internationale s’embrase, plus la courbe de crédibilité du registre sécuritaire israélien monte — et avec elle, l’espace d’action.
Ce n’est pas de gaîté de coeur – car cela ouvre une noyau vertigineux – que je me vois casser le mythe, mais l’opération « Les Chariots de Gédéon » n’a pas véritablement commencée le 16 mai 2025.
Son acte fondateur se situe bien plus tôt : en octobre 2011, lors de l’échange si disproportionné de Gilad Shalit contre 1027 prisonniers palestiniens.
Ce qui paraissait alors un déséquilibre insensé — un seul soldat israélien contre une foule de cadres — n’était pas si déséquilibré à la lumière des faits. La prison israélienne n’est pas un espace neutre : elle est un laboratoire.
Les longues années de détention deviennent un champ d’observation, de profilage, parfois de conditionnement.
Le Shin Bet et l’administration carcérale – à la démocratie israélienne de séparer le bon grain de l’ivraie – ont transformé la captivité en matrice : apprentissage de l’hébreu, étude de la stratégie militaire adverse, réorganisation interne par clans. Les futurs dirigeants du Hamas y ont gagné en stature, mais aussi en exposition totale aux regards de l’ennemi.
Il n’y a pas d’autre explication, qui ne soit pas à dormir debout, devant les faits:
- Yahya Sinwar, libéré en 2011, en est l’exemple éclatant : « Boucher de Khan Younès » hier, chef incontesté du Hamas ensuite, jusqu’à devenir l’architecte du 7 octobre 2023.
- A ses côtés, d’autres libérés — Mazen Faqha, Zaher Jabarin, Fursan Khalifa — ont repris des rôles clés dans les finances, la direction militaire, la réorganisation du mouvement.
Autant de trajectoires qui prouvent, ou à tout le moins donnent une densité indéniable au faisceau de présomption, que la libération ne fut pas une défaite stratégique pour Israël, mais bien l’ouverture d’un théâtre de contrôle invisible sur le Hamas.
Gédéon dit cela. Il n’y a pas eu de faiblesse, il y a eu ruse.
Israël a montré depuis qu’il est passé maître dans l’art d’infiltrer ses ennemis. L’exécution coordonnée de cadres du Hezbollah par l’explosion simultanée de leurs téléphones portables, jusqu’à l’Iran, en fut la démonstration orgueilleuse.
Pourquoi aurait-il agi autrement en 2011 ? L’échange Shalit n’était pas un don, mais une manœuvre extrêmement puissante.
En libérant des hommes qu’il avait profondément cartographiés, tout en se montrant intraitable et cruel avec Marwan Barghouti, humilié publiquement il y a une semaine, on comprend qu’Israël a pris le risque, calculé, de relancer une dynamique qu’il se croyait capable de contrôler pour produire les éléments de tension et de drame de la situation présente.
Cette situation force le destin d’Israël à rejoindre le grand horizon.
Le nom n’est venu que plus tard, comme un sceau biblique posé sur une continuité.
Depuis 2011, Israël a porté en lui cette logique : laisser croître l’adversaire qu’il connaît intimement et manipule sans aucun doute, pour mieux l’écraser au moment choisi et achever sa mue en manifestant au grand jour sa dimension messianique, jusque-là contenue.
Le 07-Octobre-2023 et l’indélébile « Sacrifice des Innocents » qu’il fixe à jamais dans la mémoire, a ouvert cette gigantesque faille.




