La rĂ©cupĂ©ration et la mise en oeuvre du narratif par l’Union des droites rĂ©veille une dimension spectrale.
Le vol des bijoux de la Couronne au Louvre nâest pas seulement un fait divers : câest une profanation du symbole, une mise Ă nu du sacrĂ© rĂ©publicain.
Car toucher aux joyaux de lâhistoire, câest atteindre la mission rĂ©galienne de lâĂtat â protĂ©ger.
Mais ce vol sâinscrit dans une mĂ©canique plus large, dĂ©sormais bien huilĂ©e :
⥠la dĂ©linquance ordinaire sert Ă illustrer lâimpuissance policiĂšre ;
âĄla menace terroriste, lâimpuissance militaire ;
⥠la profanation de symboles religieux ou nationaux, lâimpuissance spirituelle ;
⥠enfin, le braquage patrimonial, lâimpuissance rĂ©galienne.
Ă chaque Ă©tape, câest le fondement de l’Etat â le monopole de la protection â qui est grignotĂ©, jusquâĂ la dĂ©sacralisation du cĆur mĂȘme de la RĂ©publique.
Dans le contexte politique actuel, on assiste Ă un transfert progressif de la charge accusatoire vers le domaine du symbole, aprĂšs que toutes les strates narratives de la prĂ©tendue faillite de lâĂtat ont Ă©tĂ© successivement exploitĂ©es.
Dâabord, la dĂ©linquance ordinaire et lâinsĂ©curitĂ© quotidienne ont servi Ă mettre en scĂšne lâimpuissance policiĂšre : pompiers caillassĂ©s, commissariats attaquĂ©s, quartiers livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes.
Puis, la menace islamiste et la peur migratoire, nourries par le mythe du âgrand remplacementâ et du âchoc des civilisationsâ, ont dĂ©placĂ© cette impuissance sur le terrain militaire et identitaire.
Enfin, le rĂ©cit sâest Ă©levĂ© jusquâĂ la profanation symbolique : lâincendie de Notre-Dame, immĂ©diatement rĂ©cupĂ©rĂ© par lâextrĂȘme droite et réécrit sous la forme dâun complot, avec pour bruit de fond la litanie des chapelles rurales profanĂ©es, comme autant de stigmates dâun Ătat dĂ©faillant dans sa mission de protection.
Cela peut-il ĂȘtre que le fruit du hasard et, sui generis, que l’enfantement du seul chaos auquel nul Ă©lĂ©ment Ă©tranger apporte sa contribution?
L’enfant que j’Ă©tais se cachait sous les draps au passage de BelphĂ©gor
Rappelons que ce nâest pas la premiĂšre fois que le sanctuaire vacille.
En 1911, le vol de la Joconde avait déjà fissuré la conscience nationale.
Et lorsque le tableau fut retrouvĂ©, un doute demeura : si mĂȘme le Louvre pouvait ĂȘtre violĂ©, quâĂ©tait-ce que la France protĂ©geait encore ?
Seize ans plus tard, Arthur BernÚde fit naßtre Belphégor, le fantÎme du Louvre.
Il nâĂ©tait pas un dĂ©mon, mais un redresseur de torts, tapissĂ© dâombres et de clercs-obscurs, au service de la lumiĂšre de la RĂ©publique.
Car BelphĂ©gor nâest pas le spectre qui attaque la RĂ©publique â
câest la RĂ©publique qui, ayant laissĂ© sâobscurcir sa lumiĂšre, engendre son propre BelphĂ©gor.
Aujourdâhui encore, ce fantĂŽme revient, non pour maudire, mais pour rappeler :
la République est sacrée, et ceux qui tentent de la corrompre réveillent inévitablement ses gardiens invisibles.
L’enfant que j’Ă©tais, impressionnĂ© par sa figure, dans le feuilleton tĂ©lĂ©visĂ© remontant au noir et blanc, se cachait sous les draps au passage de Belphegor.
Lâimagination accomplit ces transmutations Ă vitesse lente.
Nous ne faisons que lâaccĂ©lĂ©rer.
