Yair Lapid, parole de feu

Le message publié, ce jour sur X, par Yair Lapid constitue bien plus qu’un simple commentaire politique : c’est un acte de rupture symbolique, une mise en accusation historique et une reconquête du sens face à la falsification du langage opérée par le gouvernement Netanyahou. Depuis plusieurs semaines, le gouvernement israélien cherche à rebaptiser la guerre du 7 octobre sous des appellations positives – notamment « מלחמת התקומה » (la guerre de la renaissance). Ce choix rhétorique n’est pas anodin : il tente d’ancrer la catastrophe du 7 octobre dans une perspective messianique, celle d’un Israël purifié par le feu et appelé à se relever. Lapid, par un retournement fulgurant, dénonce cette instrumentalisation du lexique biblique : « Ce n’est pas la guerre de la renaissance, mais la guerre de la culpabilité (מלחמת האשמה). » Ainsi, il renvoie le gouvernement à sa faute originelle : l’échec d’avoir protégé le pays. Le mot אשמה (culpabilité) a ici une résonance quasi talmudique : il s’agit d’une faute morale, non d’une simple erreur de commandement. Lapid rappelle que le mensonge d’État a ses limites : « Tous les efforts pour effacer ce qui s’est passé échoueront, car l’histoire véritable s’est écrite dans le sang. » Cette phrase opère comme une sentence morale et historique. Le sang devient le témoignage indélébile qui contredit la narration officielle ; la mémoire du peuple, et non celle des communicants, sera la gardienne de la vérité. Lapid affirme ainsi que le réel résiste à la propagande : l’histoire, une fois écrite en sang, ne se réécrit plus. En nommant Daniel Peretz et Inbar Heyman, Lapid ramène la tragédie à hauteur d’homme. Ces noms incarnent le caractère sacré et concret du deuil : on ne peut parler de « renaissance » là où des jeunes vies ont été définitivement détruites. L’opposition à la déshumanisation est ici frontale : là où le pouvoir veut faire de la guerre un mythe rédempteur, Lapid rappelle la chair et les visages. Sous le vernis de son discours, Lapid attaque la dérive messianique du pouvoir israélien. En qualifiant l’événement de « guerre de la culpabilité », il inverse le signe : le 7 octobre n’est pas un moment de salut, mais un moment d’effondrement moral et politique. Il refuse que cette tragédie serve de borne milliaire à l’idéologie du Grand Israël que Netanyahou cherche à ressusciter. Ce message, d’une clarté presque testamentaire, marque le retour de la parole morale dans la sphère politique. Lapid y parle comme le gardien de la mémoire nationale, non comme un simple opposant. En reprenant la maîtrise du langage, il prépare la refondation du lien civique : dire la vérité devient un acte de souveraineté démocratique. Ce texte restera sans doute comme un repère dans l’histoire politique israélienne : il met fin à la tentative de sacraliser le 7 octobre, réintroduit la conscience dans le récit de la guerre et oppose la mémoire du peuple à l’idéologie du pouvoir. C’est la première grande homélie laïque de l’après-Netanyahou. Le message de Yair Lapid rompt le charme de la propagande. Il restitue au 7 octobre 2023 sa nature : non pas une guerre de rédemption, mais une faute nationale. En nommant les morts, en dénonçant la falsification du langage et en rétablissant la vérité du sang, Lapid transforme la douleur en acte de lucidité collective. Israël, à travers lui, commence à se regarder en face.

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