L’être numérique a droit à la clarté de l’espace dans lequel il pense, échange et agit. Nul ne peut exercer librement son jugement dans un environnement opaque, modelé par des flux invisibles d’influence, d’automatisation ou de viralité organisée. La transparence cognitive est un droit naturel de l’usager : elle garantit la souveraineté de son libre arbitre, la dignité de sa parole et la responsabilité de ceux qui informent. Les plateformes doivent publier périodiquement l’état des flux qu’ils génèrent, afin que chacun sache où il se tient et ce que sa voix engendre.
Exposé des motifs
> Informer, c’est révéler. Cacher, c’est aliéner.
La démocratie se nourrit de lumière.
1. Contexte et état actuel du droit
À l’heure où la majorité des échanges humains, économiques et culturels s’opèrent dans l’espace numérique, le droit de l’usager à comprendre l’environnement cognitif dans lequel il évolue demeure lacunaire.
Les réglementations existantes — notamment le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et le Digital Services Act (DSA) — garantissent la confidentialité et la sécurité des données, mais elles ne traitent pas encore la transparence de l’écosystème cognitif lui-même.
Ainsi, un usager peut connaître la manière dont ses données personnelles sont exploitées, mais il ignore encore les forces qui structurent son champ de perception et plus encore, puisque son libre arbitre en est la matière première, la manière dont elle est valorisée :
- la proportion de contenus automatisés ou coordonnés (bots, campagnes d’influence, IA conversationnelles),
- la nature des boucles virales qui conditionnent la visibilité des sujets,
- ou encore le poids relatif des médias institutionnels dans la circulation des émotions et des récits.
Cette opacité systémique place le citoyen dans une situation analogue à celle d’un consommateur plongé dans un marché dont il ignorerait la composition des produits : il croit choisir librement, alors qu’il est déjà orienté.
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2. De la nécessité d’un droit nouveau
L’économie de l’attention transforme l’esprit humain en ressource.
Ce que les plateformes extraient et valorisent, c’est la faculté même de percevoir, de s’émouvoir et de décider.
Dès lors, le libre arbitre devient la matière première du monde numérique : il doit donc être protégé, non comme un bien accessoire, mais comme un droit fondamental.
Garantir cette protection suppose que l’usager dispose d’un droit d’accès au contexte cognitif — un droit de savoir où il met les pieds.
C’est la condition pour qu’il exerce son jugement en connaissance de cause, sans manipulation invisible ni amplification artificielle.
Ce droit n’appelle pas la désignation de coupables ni la surveillance des individus, mais une transparence agrégée, accessible, régulière et vérifiable.
De même que les États publient des indicateurs économiques ou environnementaux, les plateformes doivent publier un état semestriel de l’écosystème cognitif, exposant de manière non nominative :
- les flux d’audience,
- la part des interactions automatisées,
- la provenance géographique et thématique des principaux courants,
- et la contribution mesurable des médias professionnels à la viralité.
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3. De la responsabilité de la parole
L’article introduit également un principe de responsabilité élargie :
- toute parole publique engage non seulement son auteur, mais les effets prévisibles qu’elle déclenche.
Ce principe, déjà admis dans le champ des comportements (droit pénal, civil ou administratif), doit être reconnu dans le champ informationnel.
Un média, un influenceur, un responsable politique, un commentateur — chacun doit assumer que sa parole agit comme un vecteur : elle génère des chaînes de réactions et participe à la santé cognitive de la société.
Ainsi, les organes de presse — sans perdre leur indépendance éditoriale — devraient documenter les effets systémiques de leurs publications :
- les boucles de viralité qu’elles entraînent,
- les rectifications ou précisions ultérieures,
- et les apprentissages qui en découlent.
Cette transparence nourrirait la confiance et la pédagogie citoyenne.
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4. Finalité et portée
Le présent article consacre donc un droit naturel et positif :
- le droit à la transparence cognitive, corollaire du libre arbitre et de la dignité humaine.
Il établit :
- une obligation de publication périodique (annuelle ou semestrielle) par les plateformes d’un rapport de vitalité cognitive ;
- la création ou désignation d’une Autorité indépendante de la conscience numérique, chargée d’en garantir la méthodologie et l’uniformité ;
- la reconnaissance d’une responsabilité élargie de la parole, adaptée aux réalités de la viralité contemporaine.
L’objectif n’est ni de restreindre la liberté d’expression ni d’imposer une tutelle morale, mais de restaurer les conditions de son exercice éclairé.
La liberté ne se maintient que dans la lumière : rendre visibles les architectures de l’influence, c’est préserver la souveraineté de la conscience.
