đŸ©șSĂ©curitĂ© sociale : le second lobe du poumon rĂ©publicain

Un pays respire quand il produit et protĂšge en mĂȘme temps. Il s’étouffe quand il oppose l’un Ă  l’autre.
C’est ce qu’il faut garder impĂ©rativement Ă  l’esprit au Jour Un de l’examen du budget de la SĂ©curitĂ© Sociale dans un pays au bord de la crise de nerf.

À la veille de l’examen du budget de la SĂ©curitĂ© sociale, la RĂ©publique tout entiĂšre retient son souffle.
Ce qui se joue dĂ©passe pourtant l’alignement des chiffres : c’est la capacitĂ© du pays Ă  respirer encore comme un seul corps — Ă  maintenir la coordination entre son Ă©conomie, sa solidaritĂ© et son sens civique.
Car la SĂ©curitĂ© sociale n’est pas une dĂ©pense : c’est un organe vital.
Et l’avoir transformĂ©e en passif fut une erreur tragique.

đŸ«I. La SĂ©curitĂ© sociale : le second lobe du poumon rĂ©publicain

La Sécurité sociale, instituée par les ordonnances fondatrices du 4 octobre 1945, fut conçue comme le prolongement vivant de la République.
Elle ne fut pas pensée comme un dispositif technique, mais comme un organe essentiel du corps national.
Elle incarne la part concrÚte de la fraternité : celle qui rend la liberté habitable et la dignité réelle.

Dans cette anatomie rĂ©publicaine, l’économie est le premier lobe du poumon, celui qui produit et alimente.
La Sécurité sociale en est le second lobe, celui qui régénÚre, purifie, redistribue.
Et le politique en est le cerveau, chargé de maintenir la coordination, la vision et la mesure.

Pendant des dĂ©cennies, cette respiration Ă©quilibrĂ©e fit de la France l’un des pays les plus prospĂšres et les plus justes du monde.
Le travail nourrissait la solidarité, la solidarité soutenait la natalité, la natalité entretenait la confiance.
Le corps national vivait dans un Ă©tat de santĂ© dĂ©mocratique coordonnĂ©e dans un Ă©quilibre acceptable puisqu’il ne grevait rien irrĂ©mĂ©diablement et n’injuriait, surtout pas, l’avenir des Français par une sĂ©rie de dĂ©crochages dans leur compĂ©titivitĂ©.

đŸ‘¶II. La natalitĂ© : baromĂštre du souffle national

Ce souffle républicain se voyait jusque dans la démographie.
Pendant longtemps, la France a affichĂ© un taux de natalitĂ© supĂ©rieur Ă  la moyenne europĂ©enne, signe tangible d’une confiance dans l’avenir.
Ce n’était pas un hasard : vivre dans un pays oĂč la SĂ©curitĂ© sociale protĂ©geait contre la maladie, la vieillesse ou la perte d’emploi, c’était vivre dans un espace de sĂ©curitĂ© morale et matĂ©rielle — un pays oĂč l’enfant Ă  naĂźtre n’était pas un risque, mais une espĂ©rance.

La vitalité démographique française fut le baromÚtre du pacte républicain :
la preuve que la solidarité donne confiance et que la confiance nourrit la vie.

⚖III. L’erreur tragique

Puis vint l’erreur tragique : celle de dissocier les deux poumons.
L’économie et la solidaritĂ©, longtemps unies dans un mĂȘme souffle, furent sĂ©parĂ©es.
On voulut faire fonctionner la RĂ©publique avec un seul lobe actif — celui de la production ou celui de la redistribution — comme si l’on pouvait respirer d’un seul cĂŽtĂ© sans Ă©touffer l’autre.

Et, pire encore, le cerveau politique, au lieu de demeurer au-dessus pour en assurer la coordination, fut installĂ© dans l’un des deux lobes — selon les opportunitĂ©s ou les cycles Ă©lectoraux.
Tour Ă  tour, il se logea dans le lobe Ă©conomique pour flatter les marchĂ©s, ou dans le lobe social pour sĂ©duire l’opinion.
Mais jamais au centre, lĂ  oĂč se trouve la respiration juste.

Installer le cerveau dans un seul lobe, c’est condamner le corps Ă  la dyspnĂ©e. C’est perdre la coordination, la mesure et la raison du mouvement.

Pour des raisons populistes ou conjoncturelles, le Politique s’est dĂ©tachĂ© des principes actifs qui, Ă  l’origine, avaient donnĂ© Ă  la Ve RĂ©publique une trĂšs haute idĂ©e du bien dĂ» au Peuple.
Les réformes ont alors proliféré comme des traitements symptomatiques, rarement curatifs :

  • Les 35 heures, censĂ©es libĂ©rer du temps, ont comprimĂ© la base contributive.
  • Les rĂ©formes des retraites, destinĂ©es Ă  repousser les dĂ©ficits, ont dĂ©placĂ© la charge sur les gĂ©nĂ©rations futures.
  • Le quatriĂšme Ăąge, consĂ©quence naturelle de l’allongement de la vie, a Ă©tĂ© nĂ©gligĂ©.
  • Et l’empilement de rĂ©gimes catĂ©goriels a fragmentĂ© la solidaritĂ© et brouillĂ© la lisibilitĂ© du systĂšme.
  • Les dĂ©ficits se sont creusĂ©s, et, avec eux, l’irrĂ©sistible propension Ă  taxer l’appareil productif, avec pour de dĂ©tacher les deux lobes qui appartiennent au mĂȘme poumon de la Nation.

Ce qui devait ĂȘtre un organisme adaptatif est devenu un systĂšme contractĂ©, crispĂ© sur ses “acquis sociaux”.
La notion d’acquis social, lĂ©gitime Ă  son origine, s’est figĂ©e dans le temps politicien s’enkystant, durablement, dans le rĂ©flexe syndical y trouvant levier permettant d’exercer un chantage sur le pacte social en le dĂ©plaçant de la RĂ©publique qui est seule Ă  l’assurer par son Ă©quilibre recherchĂ©, au seul prisme de la redistribution.
Cela a contribuĂ© Ă  faire perdre de vue que seule la dynamique Ă©conomique permet de servir durablement le droit et, plus grave, Ă  installer l’idĂ©e que la Nation doit d’abord avant d’ĂȘtre nourrie. Cet Ă©tat d’esprit a fait d’une partie des citoyens des rentiers et des partis politiques se sont spĂ©cialisĂ©s, par leur idĂ©ologique, dans ce fonds de commerce.

On a cessĂ© de penser la SĂ©curitĂ© sociale comme un investissement dans la vitalitĂ© nationale, pour n’y voir qu’un poste de dĂ©pense dans un tableau budgĂ©taire.

Le jour oĂč la fraternitĂ© fut soumise Ă  la comptabilitĂ© et Ă  l’auto-Ă©valuation des diffĂ©rents sorts faits aux uns ou aux autres, la respiration rĂ©publicaine perdit son rythme.
L’économie s’est mise Ă  tousser, la solidaritĂ© Ă  s’essouffler, et la politique, enfermĂ©e dans un seul de ses poumons, a cessĂ© d’oxygĂ©ner l’ensemble.

⚠IV. La dilution de la responsabilitĂ©

Lorsque le cerveau s’installe dans un seul lobe, la coordination s’effondre.
La respiration rĂ©publicaine devient haletante : d’un cĂŽtĂ©, l’économie peine Ă  suivre ; de l’autre, la solidaritĂ© s’épuise.
Et dans cet essoufflement, le sens de la responsabilitĂ© collective — cƓur battant du modĂšle français — s’est dissous.

Pierre Moscovici a parlĂ© de “perte de contrĂŽle” des finances sociales.
Mais cette perte de contrĂŽle n’est pas qu’un dĂ©ficit : c’est une perte de sens.
Depuis trop longtemps, les gouvernements colmatent les brùches d’un tonneau de Danaïdes, sans restaurer la logique organique qui relie effort, travail et protection.

La Sécurité sociale fut conçue comme un sanctuaire de la citoyenneté partagée,
non comme un guichet de prestations.
Elle repose sur une idĂ©e simple : chacun participe Ă  la mesure de ses moyens, et reçoit Ă  la mesure de ses besoins — non par charitĂ©, mais par solidaritĂ© consciente et conscience participative.

Or, à force d’instrumentaliser ce pacte civique,
on a ouvert la boßte de Pandore des surenchÚres démagogiques.
En prĂ©tendant dĂ©fendre le peuple, on l’a Ă©puisĂ© ; en prĂ©tendant protĂ©ger le modĂšle social, on l’a dĂ©vitalisĂ©.

La fatigue collective ne vient pas d’un excĂšs de solidaritĂ©, mais d’un manque de cohĂ©rence.
La Sécurité sociale a perdu son lien vital avec le travail, avec la création de valeur et le dynamisme économique qui la soutenaient.
Elle n’est pas la cause de nos dĂ©sĂ©quilibres — elle en est la victime.
C’est ce lent processus de dĂ©gĂ©nĂ©ration qu’il faut, aujourd’hui, sous peine de voir plonger tous les indicateurs socio-Ă©conomiques, inverser.

đŸ•ŠïžV. RĂ©tablir la respiration rĂ©publicaine

RĂ©tablir l’équilibre des comptes, ce n’est pas rĂ©parer un tableau Excel : c’est rĂ©animer un organisme national.
Il faut retrouver la cohérence du souffle : le travail nourrit la solidarité, la solidarité protÚge le travail,
et la politique donne à l’ensemble une direction et un sens.

Le redressement de la SĂ©curitĂ© sociale ne viendra pas d’une austĂ©ritĂ© mĂ©canique, mais d’un rĂ©armement moral et civique : redonner aux Français la conscience que la solidaritĂ© est un acte de responsabilitĂ©, et que la responsabilitĂ© est la forme la plus Ă©levĂ©e de la libertĂ©.

La France doit rĂ©apprendre Ă  respirer par ses deux poumons — Ă©conomique et social —et remettre le cerveau politique Ă  sa place : au centre, dans la fonction de coordination, lĂ  oĂč se pense l’équilibre du tout et non la conquĂȘte d’une partie.

La Sécurité sociale est un actif de la République.
L’avoir transformĂ©e en passif fut une erreur tragique.
La restaurer comme actif vital est désormais une nécessité historique.

Un pays respire quand il produit et protĂšge.
Il s’étouffe quand il oppose l’un Ă  l’autre.
Retrouver cette respiration, c’est retrouver la grandeur du modĂšle français : un peuple en forme, une Ă©conomie vivante, une solidaritĂ© lucide, et un Politique Ă  la hauteur de sa raison.

💭IV bis. Le malaise vital

Il y a, dans la crise que nous traversons, une dimension psychosomatique que les chiffres ne traduisent pas mais que chacun ressent.
La natalitĂ© en berne, l’explosion des burn-out, la lassitude diffuse, le repli intĂ©rieur : tout cela compose un mĂȘme tableau clinique — celui d’un Ă©puisement du souffle vital de la Nation.

Ce n’est pas une thĂ©orie, mais une intuition que je soumets :
comme tous les groupes vivants, l’ĂȘtre humain rĂ©duit sa fĂ©conditĂ© quand son instinct vital s’épuise.
Les sociétés animales le font lorsque les ressources manquent ou que leur environnement devient hostile.
Nous, ĂȘtres humains, hĂ©ritiers de ce tronc biologique, y ajoutons la complexitĂ© de notre conscience :
notre mémoire, notre imaginaire, nos peurs, nos remords.
Et cette conscience peut, à son tour, troubler notre instinct de perpétuation.

Quand un peuple ne croit plus en son avenir, il cesse de se le donner.
Quand il doute de sa dignité, il se détourne de la vie.
Et quand il se replie sur la culpabilitĂ© — qu’elle soit climatique, coloniale, historique ou existentielle —
il se prive de l’élan mĂȘme qui le ferait Ă©voluer.

Le discours décliniste, culpabilisateur, moralisateur, finit par agir comme un sédatif collectif.
Il inhibe le mouvement vital, il tue le désir de transmission, il éteint le feu intérieur qui pousse à construire.

Ce climat de fatigue morale et de culpabilité culturelle agit comme un poison lent.
Il altĂšre la confiance, Ă©rode le lien social et affaiblit le sentiment d’appartenance.
Il faut s’en libĂ©rer — lucidement, sans nier les responsabilitĂ©s du passĂ©,
mais en refusant d’en faire une religion mortifùre.

Être libres, justes et responsables, c’est reconnaütre les fautes de l’histoire
sans s’y enchaĂźner ; c’est transformer la conscience du passĂ© en force d’avenir, et non en repentir stĂ©rile.

Le corps national a besoin d’air.
Et cet air, c’est l’espĂ©rance.
La France doit retrouver le droit de respirer, d’espĂ©rer, d’aimer son futur sans honte.

💰 VI. L’impasse de la ponction

La SĂ©curitĂ© sociale reprĂ©sente aujourd’hui plus de 31 % du PIB français.
C’est un poids considĂ©rable — prĂšs d’un tiers de la richesse nationale — qui fait de la France le pays le plus redistributif d’Europe.
Chaque annĂ©e, plus de 850 milliards d’euros sont consacrĂ©s Ă  la protection sociale : maladie, retraites, famille, dĂ©pendance, chĂŽmage.
Ce modÚle est un trésor républicain, mais il est aussi un colosse sur des jambes fatiguées.

Depuis vingt ans, la rĂ©ponse politique dominante Ă  ses dĂ©sĂ©quilibres a Ă©tĂ© la mĂȘme :
prélever davantage.
Hausse des cotisations, taxes affectĂ©es, CSG, fiscalisation partielle des ressources : la solidaritĂ© a Ă©tĂ© financĂ©e par une mĂ©canique d’addition.
Mais peut-on, indéfiniment, sauver un organisme vivant en lui retirant toujours plus de sang ?

Qui peut sĂ©rieusement croire que c’est par la ponction fiscale toujours plus forte
que l’on rĂ©tablira l’équilibre d’un modĂšle dĂ©jĂ  Ă  bout de souffle ?

La vérité est plus complexe et plus dérangeante :
l’économie elle-mĂȘme, dans sa forme contemporaine, s’est mise Ă  se nourrir sur la mamelle sociale.
Subventions, aides sectorielles, exonérations, compensations :
les circuits Ă©conomiques se sont imbriquĂ©s dans ceux de la solidaritĂ© jusqu’à brouiller la frontiĂšre entre le soutien lĂ©gitime et la dĂ©pendance systĂ©mique.

L’économie moderne, avec ses effets pervers et ses addictions,
vit elle aussi de transfusions — et parfois, elle les exige comme un droit.
Ce faisant, elle détourne une part du souffle vital que la Sécurité sociale devait consacrer aux fragilités humaines.
La solidarité sert alors à maintenir artificiellement un équilibre économique,
au lieu de soutenir un équilibre social.

Il ne s’agit pas de rĂ©duire la protection sociale :
il s’agit de rĂ©orienter son Ă©nergie.
De rendre Ă  la SĂ©curitĂ© sociale sa fonction premiĂšre : soutenir la vitalitĂ© du peuple, non supplĂ©er les dĂ©faillances d’un systĂšme Ă©conomique dĂ©saccordĂ©.

La SĂ©curitĂ© sociale n’a pas vocation Ă  soigner les crises du capitalisme.
Elle a vocation Ă  soigner les citoyens.

🧼 VII. Le quatriĂšme Ăąge : le dĂ©fi du souffle long

Le quatriĂšme Ăąge et les besoins immenses qu’il engendre entrent dĂ©sormais dans l’équation de la SĂ©curitĂ© sociale.
Cette nouvelle donne bouleverse le fragile équilibre de la péréquation intergénérationnelle :
moins de cotisants, plus de bĂ©nĂ©ficiaires, des carriĂšres discontinues, une espĂ©rance de vie prolongĂ©e —
autant de variables qui rendent la symétrie des flux quasi impossible à atteindre sans repenser la logique du systÚme.

Mais ce défi ne se résume pas à un déséquilibre de colonnes.
Ce n’est pas seulement une question d’arithmĂ©tique nationale :
c’est une question de souffle collectif.
La dĂ©mographie n’est pas qu’un indicateur : elle est le rythme cardiaque de la RĂ©publique.
Et l’épuisement du souffle dĂ©mographique traduit celui de la confiance,
celle d’un peuple qui doute de sa capacitĂ© Ă  durer, Ă  transmettre, Ă  se projeter.

Le prisme n’est plus seulement le bilan comptable de la Nation.
Il est la maniĂšre dont le Politique saura insuffler un souffle nouveau,
pour faire renaßtre la confiance républicaine.

C’est par le soin du grand Ăąge que se jugera la jeunesse d’une civilisation. Une RĂ©publique qui prend soin de son quatriĂšme Ăąge n’est pas une RĂ©publique vieillissante, c’est une RĂ©publique qui respire Ă  travers le temps.
Le dĂ©fi du quatriĂšme Ăąge appelle une vision d’ensemble : une Ă©conomie rĂ©inventĂ©e, un travail revalorisĂ©, une solidaritĂ© rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, et un État stratĂšge qui redonne Ă  la RĂ©publique le sens de la continuitĂ© vitale.

Ce n’est pas une simple rĂ©organisation technique qui appelle Ă  bidouiller le logiciel des uns ou des autres: c’est une refondation du lien civique, oĂč le soin apportĂ© Ă  nos anciens devient le miroir de la vitalitĂ© que nous voulons transmettre Ă  nos enfants.
C’est un moment, le plus puissant possible, de pensĂ©e politique qui est attendu et appelĂ©.
Plus qu’un mot dont on a lentement perdu la noblesse et l’exigence du sens pour le rĂ©duire Ă  une carte de crĂ©dit Ă  la consommation, la SĂ©curitĂ© Sociale est ce qui anime et justifie la RĂ©publique Française.
Sauver son modĂšle en citoyens responsables, c’est sauver la RĂ©publique.
Ce n’est pas un choix, mais un devoir.

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