Ce qui pourrait sembler une question marginale dans la politique israélienne — l’exemption du service militaire pour les juifs ultraorthodoxes — est en réalité le nerf de la guerre « existentielle » d’Israël.
Elle double le droit légitime à se défendre d’un conflit interne irrésolu, car appartenant au non-dit, celui d’une nation divisée entre le devoir et la dévotion, entre l’État et la foi.
Car une nation ne peut demeurer libre si certains revendiquent la pureté pendant que d’autres se sacrifient et se souillent les mains.
📜 Le compromis fondateur
À la création de l’État, David Ben-Gourion accorda aux haredim (ultraorthodoxes) l’exemption du service militaire, cherchant un équilibre fragile entre la foi et la politique.
Ils n’étaient alors que quelques centaines d’étudiants en yeshiva ; préserver la prière semblait compatible avec la construction de l’État.
Mais ce qui fut une exception fondatrice est devenu un privilège systémique.
Aujourd’hui, des dizaines de milliers d’hommes en âge de servir échappent à l’obligation nationale tout en bénéficiant de subventions publiques et d’une influence politique majeure.
Ils refusent le combat civique mais dictent la morale, prêchent la pureté tout en vivant de la défense assurée par les autres.
Cette asymétrie n’est plus seulement sociale — elle est métaphysique.
Elle a transformé la démocratie israélienne en une crevasse du ciel — un lieu où la sainteté échappe à la justice, et où la foi devient refuge contre le devoir.
⚔️ Le choc du 7 octobre 2023
Le 7 octobre fut un séisme moral — un holocauste, au sens premier du mot.
Au festival Nova, des pacifistes et des artistes s’étaient rassemblés pour célébrer la vie, non la guerre ; désarmés, confiants dans la paix, ils furent livrés au feu et au massacre.
Leur destruction ne fut pas seulement un crime, mais une offrande brûlée, une génération immolée sur l’autel des illusions d’autrui.
Des soldats eux aussi, pris au dépourvu, partagèrent ce destin — victimes d’une foi qui avait remplacé la responsabilité, et de dirigeants qui avaient confondu croyance et clairvoyance.
Ce jour-là ne consuma pas seulement des corps.
Il brûla l’idée même d’Israël comme refuge de la conscience.
Dans le désert, sous la fumée et la musique changée en cris,
la foi d’une nation rencontra le jugement de sa propre négligence.
⚖️ La position de Lapid
C’est contre cette dérive que se dresse Yair Lapid, confrontant — au nom du Forum permanent — les ambiguïtés béantes du système sur lequel s’appuie Benjamin Netanyahou,
et dont Tsahal et l’ensemble de l’appareil sécuritaire concentrent l’ambivalence, devenue si invivable qu’elle provoque un lourd traumatisme moral parmi les soldats et au sein même des états-majors.
Cette irrégularité institutionnelle n’est pas moins inadéquate à Israël que le Hamas ne l’est à la définition de la souveraineté palestinienne.
Toutes deux, bien que contraires, procèdent d’une même corruption de la responsabilité :
l’une la déforme, l’autre la détruit.
Elles doivent être démantelées — pour l’une — et abolies — pour l’autre — dans un même mouvement de retour à la justice.
Tant que cette anomalie persistera, tant qu’Israël tolérera en son sein une caste soustraite au devoir civique au nom d’un privilège divin, le discours du Hamas demeurera structurellement légitimé.
Il se nourrit de cette contradiction :
un ennemi miroir né du même refus d’assumer la responsabilité commune.
🕯️ Le sens du combat
Le combat de Yair Lapid n’est pas religieux, il est civique.
Il cherche à rétablir l’égalité dans le sacrifice et dans la responsabilité partagée.
Il rejette l’idée qu’une minorité sanctifiée puisse s’élever au-dessus du droit commun et transformer la guerre en affaire métaphysique.
Ramener Israël de Gédéon à David, de la vengeance sacrée à la justice humaine,
voilà la condition même du renouveau démocratique.
Le 7 octobre a montré où mène le messianisme religieux sans responsabilité.
Yair Lapid propose le chemin inverse : la responsabilité comme arbitre de la foi légitime dans la Cité.
Savanarole n’a pas sa place dans la cité.
