La résolution historique adoptée ce 29 octobre 2025 par le Rassemblement National et l’Assemblée nationale, visant à dénoncer l’Accord franco‑algérien de 1968, constitue un moment charnière — et lourd de conséquences — pour la relation entre la France et l’Algérie.
Cet accord, signé six ans après la fin de la guerre d’Algérie, fixait un régime préférentiel concernant les droits de séjour et de circulation des ressortissants algériens en France.
Cette séquence politique témoigne, devant l’histoire plus que ce qu’en retient l’actualité, d’un glissement plus profond : la construction d’un ennemi existentiel.
En essentialisant l’Algérie comme menace permanente, le discours porté par le RN et la droite et tous les députés qui s’y sont laissés entraîner, transforme un différend bilatéral en fracture identitaire. Cette mécanique produit un effet de diversion : elle déplace la focale stratégique vers un affrontement symbolique, laissant en arrière-plan la menace concrète de la Russie.
L’obsession du conflit civilisationnel, performée dans l’espace public, affaiblit les leviers réels de la diplomatie française : elle dégrade la relation avec un acteur méditerranéen central, brouille la coopération énergétique et sécuritaire, et fragilise la stabilité régionale. Dans le même temps, elle sert objectivement les intérêts russes, en fracturant la cohésion européenne et en détournant l’attention des mécanismes d’ingérence et d’influence qui minent déjà l’espace informationnel français.
En somme, plus le clivage franco-algérien est dramatisé, plus la menace russe se banalise. Ce déséquilibre de perception constitue une erreur de hiérarchisation stratégique : l’Algérie n’est pas l’ennemi existentiel de la France ; c’est la Russie, par son action systémique et hybride, qui œuvre à la déstabilisation de notre environnement politique et de notre sécurité collective.
Ce moment présenté largement comme positivement historique méprise, au-delà des tensions conjoncturelles qu’il ne s’agit pas de nier ici, la raison d’Etat.
Or, à cet instant même où Giorgia Meloni tisse, il y a quelques semaines, avec Alger des liens diplomatiques et stratégiques renforcés — en particulier dans les domaines de l’énergie, de l’infrastructure et de la coopération méditerranéenne — la France semble choisir une posture inverse.
En agissant ainsi, la majorité parlementaire française — et plus largement la droite qui s’agrège au RN — participe à la construction d’un « ennemi existentiel » : l’Algérie devient une cible symbolique, un point de crispation identitaire, plutôt qu’un partenaire stratégique dans un monde globalisé.
Ce glissement — volontariste ou inconscient — est problématique à plusieurs titres :
- Il fragilise une relation franco-algérienne déjà marquée par des tensions (questions migratoires, mémoire, légitimité diplomatique) et pourrait accélérer un recul de l’influence française en Méditerranée.
- Il favorise indirectement l’émergence d’alliances de substitution : l’Italie, par exemple, renforce sa position d’interface avec l’Algérie dans un « plan Mattei » méditerranéen qui pourrait laisser la France à l’écart.
- Il fait courir le risque d’un alignement stratégique français hors du grand jeu géopolitique. Pendant que le front algérien s’agite, la véritable menace — celle d’un retour agressif de la Russie ou d’une redéfinition brutale des équilibres euro-méditerranéens — passe au second plan.
En conclusion : ce vote n’est pas seulement un geste symbolique interne à la politique migratoire ou identitaire. Il est un marqueur de la volonté d’orienter la diplomatie française, avec ses effets politiques visibles, mais aussi ses conséquences invisibles sur l’influence, la stabilité et la sécurité collective.
