Le rendez-vous manqué de la marque Z prend toute sa mesure lorsqu’on le replace dans son histoire industrielle. Le groupe familial auquel elle appartenait, fondé en 1962 à Saint-Chamond, dans la Loire, fut longtemps un fleuron du textile français. Il structurait un véritable écosystème productif, articulant conception, savoir-faire, marques et emploi local. Z, Chipie, Catimini, Kenzo Kids: ces noms ne relevaient pas seulement du marketing, mais d’une chaîne de valeur complète, inscrite dans un territoire et dans le temps long.
Au moment de la liquidation, l’entreprise employait encore 200 personnes à Saint-Chamond. Sur les 2 600 salariés dans le monde, seuls 497 ont été repris. Faute de repreneur global, les actifs ont été fragmentés et attribués à plusieurs groupes (IdKids, CWF, Hanes…), selon une logique de découpe financière plus que de continuité industrielle. Ce schéma est devenu banal : la valeur des marques est captée, tandis que la valeur territoriale, humaine et symbolique est dissoute.

Mon attention, et la réflexion qui s’est structurée autour, est venue de ce double point au-dessus (notation de Newton) qui signifie:
➜ la dérivée seconde par rapport au temps
- z : position
- z˙ : vitesse
- z¨\ddot{z}z¨ : accélération
Cette notation est très utilisée en mécanique, physique, équations du mouvement, dynamique lagrangienne. Elle est tangente, bizarrement, à la Théorie Etendue de l’Information que je me vois développer et c’est donc à ce titre que je m’oblige à la disserter avec modération mais fermeté.
Sans doute pensé pour faire écho à Zinedine Zidane, le cas de cette marque enfantine, dotée d’un logo formellement juste, cognitivement prometteur, mais économiquement avorté, n’est pas une anomalie.
Il est un symptôme pur.
Le signe n’a pas échoué. Le système n’a pas su l’entendre.
Nous sommes entrés dans une époque où:
- les formes peuvent être pertinentes,
- les intuitions graphiques exactes,
- les produits de qualité,
mais où l’écosystème de production est devenu incapable d’activer le sens qu’il génère et rencontre et l’actualité, et les contraintes systémiques auxquelles nous nous croyons incapables de répondre.
C’est ici que l’enjeu dépasse largement le cas Z. Face à des productions délocalisées avec lesquelles les économies européennes peinent à rivaliser sur le seul critère du coût, la plus-value ne peut plus être cherchée uniquement dans la compression des charges ou l’optimisation logistique. Elle se déplace nécessairement vers ce qui n’est pas délocalisable: la conception, la cohérence symbolique, la qualité perçue, la confiance, la capacité à produire du sens durable. Autrement dit, vers un capital cognitif et narratif qui irrigue toute la chaîne économique. Cela peut-être exportable, si inscrit dans un continuum et une dynamique de sens.
Repenser la marque, la mode, la production comme milieux d’induction — capables d’ensemencer une atmosphère économique, sociale et culturelle — n’est pas un luxe intellectuel. C’est une condition de survie pour des modèles industriels qui veulent rester souverains sans s’enfermer dans une guerre perdue d’avance contre les coûts mondialisés. La réflexion engagée ici s’inscrit pleinement dans cette perspective, et elle rejoint, en profondeur, ce que le projet Habitat du Roi a cherché, péniblement, à tracer: une économie qui ne se contente pas de produire des biens, mais qui redistribue la valeur là où elle est créée, y compris dans ses dimensions immatérielles, territoriales et humaines.
Le cas de cette marque enfantine au logo juste mais économiquement avorté n’est pas anecdotique. Il révèle une mutation plus profonde : nous vivons une époque où les formes, les signes et les intuitions graphiques peuvent être pertinents, mais où le système productif n’est plus capable d’activer l’intelligence qu’il génère. Le signe n’a pas échoué. Le milieu qui devait le porter est devenu sourd à sa propre portée symbolique.
Historiquement, les marques remplissaient simultanément trois fonctions : identifier, garantir, transmettre. Dans l’économie contemporaine de l’attention, seule la première subsiste réellement. La garantie s’est déplacée vers le contrat, la norme ou la certification, tandis que la transmission a disparu. Le symbole s’est vu réduit à un signal décoratif, optimisé pour la reconnaissance rapide et la neutralité maximale, mais privé de mémoire et de destin. C’est dans ce contexte que la publicité a cessé d’activer le sens pour le désactiver préventivement : le sens engage, oblige, crée une responsabilité. Le signal, lui, circule sans friction et sans conséquence.
La mode, devenue accélérateur d’amnésie, amplifie ce phénomène. La multiplication des collections, l’obsolescence organisée des formes et la saturation visuelle rendent inaudibles les signes discrets et pénalisent toute tentative de continuité symbolique. Le problème n’est donc ni graphique ni créatif. Il est systémique. Le système de production fabrique aujourd’hui plus de formes qu’il ne peut en penser, plus de signes qu’il ne peut assumer. Il dissipe le capital cognitif à la source.
Le logo Z était, à cet égard, prémonitoire. Minimal, anthropomorphe, silencieux, il appelait une narration lente, une économie de la confiance, une relation transgénérationnelle. Il était en avance sur l’écosystème qui l’hébergeait. Son échec n’est pas celui d’un signe mal conçu, mais celui d’un régime de production incapable d’habiter ses propres intuitions.
Ce constat ouvre pourtant une perspective décisive. Lorsque le champ économique assume sa responsabilité symbolique, il cesse d’être un simple prolongement de la dialectique politique — faite d’oppositions, de chocs et de résolutions temporaires — pour devenir un moteur d’induction. Il n’agit plus par conflit, mais par imprégnation. Il ne débat pas : il ensemence. L’économie redevient alors une atmosphère, un milieu de propagation où les objets, les marques et les récits commerciaux fonctionnent comme des particules de sens, intégrées sans injonction et assimilées sans discours.
Dans un monde saturé de signaux, la confiance, la cohérence et la justesse symbolique redeviennent des ressources stratégiques. Les marques qui survivront ne seront pas les plus visibles, mais les plus habitables. La transformation à venir ne passera ni par décret ni par slogan, mais par une écologie du sens : lente, diffuse, cumulative. Lorsque l’économie cesse de vouloir convaincre, et accepte de respirer, elle redevient un puissant moteur de civilisation.

