Une histoire européenne de l’indépendance énergétique

Sur tous les sujets favorables à la Russie (par exemple: les gaz de schistes) des campagnes contre la fracturation hydraulique, ont déja systématiquement exaucé les intérêts de Poutine. L’Europe se fracture toujours au bénéfice de la Russie. Les tensions et l’agitation autour du Plan Pluriannuel Energétique (PPE), sujet de souveraineté s’il en est, en est la nouvelle illustration. Ceux qui convoquent la protection de leur pouvoir d’achat maintiennent surtout l’avenir des Français et celui des Européens entre les mains de la Russie.

Sans un mix bien dimensionné, la France reste captive du gaz d’appoint… et donc d’une géopolitique du gaz où la Russie a longtemps eu un avantage-coût (le GNL ajoute des coûts de liquéfaction/transport/regazéification). Les économistes de Bruegel le rappellent explicitement : le GNL est structurellement plus cher que le gaz par gazoduc, même s’il diversifie nos risques.

1) « Anti-PPE » = même schéma que l’anti-fracturation ?

On peut le lire ainsi : chaque frein à la diversification/équilibrage (ENR + flexibilité + stockage) retarde la sortie de dépendances fossiles et maintient un besoin d’appoint gazier où la Russie peut réapparaître dès qu’une fenêtre politique s’ouvre. L’UE a réduit fortement sa part de gaz russe depuis 2021, mais elle n’a pas supprimé le besoin de gaz — elle l’a surtout substitué par du GNL (beaucoup US) et d’autres fournisseurs.

Le climat hystérique autour du déploiement du compteur électrique Linky est aussi très instructif.

J’ai posé des Linky et j’ai constaté l’extrême violence du rejet qu’ils suscitaient. Comme pour la fracturation hydraulique, le débat technique a été recouvert par un épais rideau de fumée – électrosensibilité, espionnage, intrusion dans la vie privée – masquant un enjeu beaucoup plus stratégique : la souveraineté énergétique.

Un réseau équipé de compteurs communicants est plus flexible, mieux interconnecté avec l’Europe et donc moins dépendant des appoints gaziers. Depuis 2021, l’UE est passée d’environ 40% de gaz russe dans ses importations à moins de 15% en 2024, grâce aux interconnexions électriques, au développement des renouvelables et au recours au GNL. La Russie n’a aucun intérêt à voir cette dynamique s’amplifier. Dans ce contexte, une partie des opposants à la PPE, surtout ceux hostiles aux grands réseaux européens et aux infrastructures communes, s’oppose aussi à l’interconnexion, car elle est indissociable d’une autonomie énergétique continentale.

On voit clairement que la baisse de la dépendance au gaz russe coïncide avec l’augmentation de la capacité d’interconnexion électrique, renforçant l’idée qu’un réseau mieux intégré est un levier direct de souveraineté énergétique.

2) Une souveraineté européenne, si tous suivent ?

Oui. Deux pivots existent déjà :

  • Interconnexions : objectif UE d’au moins 15 % d’interconnexion d’ici 2030 pour mutualiser les capacités et lisser les intermittences.
  • REPowerEU : cap sur des renouvelables ≥ 42,5 % de l’énergie UE en 2030 (ambition 45 %), ce qui rend les interconnexions et la flexibilité encore plus centrales.
    À cela s’ajoutent des investissements réseaux bien plus élevés qu’anticipé (ENTSO-E révise fortement à la hausse les besoins transfrontaliers), faute de quoi l’électricité bon marché d’une zone ne « circule » pas là où elle manque.

3) Y a-t-il des frondes ailleurs ? (ex. AfD en Allemagne)

Oui. En Allemagne, l’AfD mène une opposition visible à l’Energiewende (éolien terrestre, règles d’implantation), capitalisant sur le thème « les renouvelables font grimper la facture » et sur la nostalgie du gaz russe bon marché. Même sans gouverner, ce discours déplace le débat et peut ralentir les déploiements. Des cas locaux cristallisent la « culture war » autour de l’éolien.

4) Et les prix du kWh en France : que prévoir ?

Court terme (2025) : après les chocs 2022-2023, les TRVE ont baissé début 2025 et ont encore été ajustés à l’été (baisse hors TVA, quasi-stabilité TTC), même si des effets fiscaux (TVA/accises, abonnements) bougent la facture ligne par ligne.

Moyen terme (PPE 2025-2035) : la PPE vise des prix “proches des coûts de production” via une nouvelle régulation du nucléaire (remplacement de l’ARENH) + accélération ENR + marges de sécurité pour éviter de devoir importer cher en crise. Mais elle ne publie pas un “tarif kWh cible” — l’atterrissage dépendra du coût du gaz/CO₂, du rythme d’investissements réseaux/stockage, et de la disponibilité du parc.

Profil d’investissement : les opposants au PPE qui se prétendent attentifs au pouvoir d’achat des Français font valoir le rechérissement du coût de l’énergie et plaident pour le statu quo favorable à la Russie. Mais il est légitime de considérer que le pic de renchérissement coïncide avec la phase d’investissement massif (nouveaux moyens + réseaux). Une fois les actifs en service, l’amortissement sur longue durée et la moindre exposition au gaz/imports tendent à lisser/absorber la pression sur le kWh — à condition de réussir les interconnexions et la flexibilité au bon rythme. Les analyses RTE montrent que les coûts système restent soutenables dans des trajectoires décarbonées, mais sensibles aux retards.

À retenir

  • Sans mix robuste, la France et l’UE restent gaz-dépendantes ; or le GNL (US, Qatar…) coûte plus cher que l’ex-gaz russe par gazoduc. D’où l’intérêt stratégique d’un mix + réseaux + flexibilité pour couper l’ancienne rente géopolitique et le moyen de chantage qu’exerce la Russie.
  • Une ligne européenne alignée (ENR + interconnexions + stockage) fait système et accroît la souveraineté.
  • Pour les prix, la PPE organise les conditions d’une désensibilisation au gaz et d’une trajectoire plus prévisible ; le niveau exact du kWh restera conjoncturel (énergie/CO₂/fiscalité) pendant la décennie d’investissement.

Comment le principe de précaution a effacé le principe de souveraineté

Non seulement l’accord UE–US à 15 % est bon — au pire neutre — mais il sécurise la diversification des sources énergétiques, en desserrant l’étau de Gazprom. Pourtant, le vrai sujet qu’il soulève est moins ce qu’on achète que ce qu’on a sacrifié : les gaz de schiste, qui arment l’industrie américaine et sa balance commerciale, mais que l’Europe a interdits sans débat éclairé. La réponse à cette abdication n’est pas flatteuse. Et si l’on ajoute à cela le sabotage écologique de l’indépendance nucléaire française, la résistance systématique à l’interconnexion des réseaux et au mix énergétique, on obtient une étrange polyphonie — où chacun joue sa partition, mais où l’on sait toujours qui tire l’épingle du jeu : la Russie.


Alors que l’Union européenne s’est engagée dans un accord massif d’importation d’énergie américaine (750 milliards $ sur trois ans, essentiellement du GNL issu de la fracturation hydraulique), elle continue de refuser toute exploitation domestique de ses propres réserves de gaz de schiste, pour des raisons politiques, environnementales et idéologiques.

Or, les réserves existent, et elles sont substantielles.

Réserves de gaz de schiste – Comparatif mondial
Zone Réserves techniquement récupérables (est.)% des réserves mondiales
États-Unis~17–19 Tcm~25–30 %
UE27 + UK~14 Tcm~14–16 %
Ukraine seule~1,2 Tcm~1,5 %
Total mondial~135 Tcm 100 %
Tcm = trillion cubic meters = mille milliards de m³.
Source : EIA (US Energy Information Administration), JRC (Commission européenne).

Répartition européenne
France : réserves majeures (bassin parisien, Sud-Est) — exploitation interdite.
Pologne : projets abandonnés sous pression sociale et diplomatique.

Roumanie, Bulgarie : permis retirés ou non renouvelés.
Ukraine : grands gisements dans le Donbass et à l’ouest du Dniepr, peu exploités en raison de la guerre et d’un sous-investissement structurel.

👉Influence étrangère et opposition au fracking (fracturation hydraulique)
Dès 2014, l’OTAN (via Anders Fogh Rasmussen) et des agences de renseignement américaines ont pointé une influence russe sur les campagnes anti‑fracking en Europe.

Des rapports du Sénat américain et de la CIA indiquent que la Russie aurait soutenu, directement ou indirectement, des ONG environnementalistes pour empêcher l’émergence d’une autonomie énergétique européenne.

Objectif : préserver la dépendance européenne au gaz russe exporté par Gazprom.

Résultat : une dépendance reconduite sous un autre drapeau

L’UE rejette le fracking sur son sol, mais importe massivement du GNL américain produit par cette même méthode.
Ce refus s’est traduit par une asymétrie énergétique durable, affaiblissant la compétitivité industrielle et la souveraineté stratégique du continent.

Ce qu’on a refusé par vertu écologique (ou par idéologie), on l’achète aujourd’hui par nécessité stratégique.

En conclusion

L’Europe a payé — et paiera encore — le prix de son abstention énergétique et de ce que les historiens futurs seront libres de considérer comme une, parmi tant d’autres, aberration démocratique favorisée par le système d’information.


Ce refus collectif d’explorer ses propres ressources, motivé en partie par des récits hostiles à son autonomie, a laissé la porte ouverte à un jeu de dépendances déguisées.
Il est temps de poser la question aux décideurs, aux médias et aux opinions publiques :
Qui assumera les conséquences de ces choix?
Et à qui a réellement profité cette cécité organisée?

Il va falloir, à un moment, mettre les acteurs politiques, les médias qui ont alimenté le rejet de la fracturation hydraulique en relayant des risques qui se sont pas vérifiés aux Etats-Unis, et en mettant les populations devant leur responsabilité.

Les risques justifiés observés aux États-Unis — eau contaminée, santé compromise, séismes locaux — confirment que la fracturation hydraulique comporte des dangers non négligeables, même si certains sont rares ou géographiquement spécifiques.

💡En France et en Europe, le BRGM et les autorités scientifiques soulignent ces risques, mais considèrent qu’ils peuvent être maîtrisés dans un cadre réglementaire rigoureux. L’interdiction en France n’est donc pas strictement basée sur une absence de risques, mais sur une priorité politique et sociétale à limiter l’incertitude, surtout dans un contexte géopolitique sensible.

Cela donne un argument de fond : les critiques actuelles du GNL américain basé sur le fracking méritent d’être relativisées au regard du risque déjà maîtrisé que l’UE refuse chez elle — ce qui constitue plutôt une décision stratégique que scientifique.

⚖️ Principe de précaution versus principe de souveraineté : la question énergétique sous son vrai jour

L’activité humaine s’est toujours exercée à la frontière du risque. Il n’est rien de “naturel” à creuser des galeries à 800 mètres sous terre pour extraire du charbon, à détourner des fleuves, ou à faire jaillir du sol du gaz sous pression. Et pourtant, c’est ainsi que les civilisations ont prospéré : en acceptant le risque pour le maîtriser, en le bornant pour le rendre fertile.

Le principe de précaution, lorsqu’il devient principe d’abstention, fige toute ambition, toute exploration, toute souveraineté. Il repose sur une idée illusoire : qu’il serait possible d’organiser le monde sans prendre le risque d’agir. Or, ne pas agir est aussi un risque — parfois plus lourd encore.

Le principe de souveraineté, quant à lui, n’est pas un appel à l’imprudence. Il est le rappel que toute décision politique sérieuse consiste à arbitrer entre plusieurs formes de risques, à les hiérarchiser, à les contenir. Il est l’expression du courage civilisé, celui qui consiste à produire ce que l’on consomme, à décider de ce que l’on tolère, à assumer les conséquences de ses choix.

Aujourd’hui, l’Europe refuse d’exploiter ses propres ressources énergétiques — au nom de la précaution — tout en achetant à prix fort le produit du même risque assumé ailleurs. Elle importe des molécules, mais aussi des décisions. Et ce faisant, elle s’interdit d’écrire sa propre stratégie.

On oublie trop vite que les zones les plus fertiles de l’histoire humaine — les deltas, les plaines inondables, les gisements de minerais — étaient aussi les plus dangereuses. C’est dans ces zones que les civilisations ont appris à organiser le risque, à l’anticiper, à le domestiquer. La modernité technique, scientifique, démocratique, n’a jamais supprimé le risque : elle l’a encadré.

Le vrai débat n’est pas entre précaution et danger, mais entre maîtrise lucide et dépendance aveugle.
À force de ne plus vouloir risquer chez soi, l’Europe finit par subir les risques que d’autres décident pour elle.

Vous me remercierez plus tard. – Adrian Monk