Nessum Dorma triomphe au palais de Shéhérazade

🧠🐘 Une fable circule sur X. Au départ, je n’y ai prêté qu’un regard distrait, puis j’ai lu les commentaires qu’elle suscitait.

J’ai décidé de consacrer une réflexion à ce qui peut sembler n’être qu’anecdotique lorsque j’ai réalisé qu’en fait, le phénomène est partout et constitue un perturbateur, invisible, diffus, mais efficace, diablement directeur, de l’opinion publique sensibilisée à une connotation sourde.

C’est le bruit de fond sourd qui tapisse notre univers médiatique. On n’y prête pas spécialement attention, à la fois en raison de l’insignifiance factuelle et la variété des glues utilisés. Nous devrions. Parce que la formule de base est identique.

Tout le monde n’y trouve rien à redire. Ni le système médiatique qui finit par retrouver dans ce bruit le diapason sur lequel il vient régler, irrésistiblement, la mire de son « la », ni les partis politiques, et particulièrement, les oppositions,  à l’affût du moindre narratif leur permettant d’exister dans la démocratie.

Le sujet mérite d’être vraiment documenté, car, sous un biais ou un autre, sa répétition et sa propulsion – que quelqu’un finance -, tamponne, oblitére, méthodiquement, notre sensiblerie et nous engage, tel un troupeau,  dans un corridor d’harmoniques mentaux qui déterminera, si on suscite, dans le temps des élections des marqueurs qui stimulent ces agents dormants, des triangulations, empiriques, fatales au système démocratique.

Le conditionnement démarre là, en prédisposant la sensibilité à des polarisations si discrètes qu’elles semblent à ce point innocentes et inoffensives qu’on peut lui ouvrir son libre-arbitre sans danger.

Notre empathie pour les animaux (ce n’est pas elle que je remets en cause) constitue, d’ailleurs, une glue parfaite pour fixer, orienter, diriger les personnes qui se sont montrées hyper-sensibles à la fable racontée vers d’autres chambres d’écho et amplificateurs à opinion.

Il y a autres sujets propices, ponctuels, mais celui-là, passe-partout, peut être parfaitement instrumentalisé pour  persuader que le règne animal est plus humain que les humains eux-mêmes, ce qui, ontologiquement, est l’acceptation d’une défaite qui signe l’acceptation inexorable des autres. Certains partis politiques sont parés pour recycler.

Mais le biais, dans le flou des postures, sert un autre horizon, plus désarmant, au sens étymologique. Celui de la nation qui sauve l’Occident décadent se cristallise dans ce prisme.

Pour être plus précis, la fable dont je parle est la fable de l’éléphant dans l’avion entouré de poussins. Elle est présentée comme un vrai stratagème utilisé par les compagnies pour sécuriser le vol, le système empathique de l’éléphant, analogue à celui de l’être humain, étant présenté tel que le roi des animaux ne bouge jamais de peur d’écraser un seul poussin et ne déstabilise pas, ainsi, l’avion. Il faut comprendre là, subliminalement, et vous verrez que l’intérêt de la « fable » est là: il ne menace, lui, aucun de ses passagers.

Qu’est-ce que cette fable dit, car une fable dit toujours quelque chose pour atteindre, profondément, le subconscient et, c’est sa fonction de toujours, l’éveiller, le dresser, face à ses ennemis invisibles.

Là, elle fait le contraire. A l’échelle d’une fable, c’est un piqûre de moucheron. Mais s’il en a des milliers, des centaines de milliers. Cela devient un autre problème. Cela devient un problème d’une nature qu’il seraît irresponsable de négliger.

Pour que cet enfant vienne en aide à l’homme qu’il sera, si par malheur, ce dernier en a besoin et qu’il a oublié


Esope et La Fontaine, Grimm, Lewis Caroll, Mozart avec sa symphonie des jouets qui fait crisser, dans le tympan, le piaillement des oiseaux et le froissement du serpent à sonnettes*, participent à la méthodologie précieuse de l’éveil et du maintien de la vigilance cognitive, installée avec douceur et bienveillance dans l’esprit de l’enfant, pour que cet enfant vienne à l’aide à l’homme qu’il deviendra si, par malheur, il en a besoin et qu’il a oublié.

Si une fable ne dit pas quelque acidité au palais, si elle y est sirupeuse, ce n’est pas une vraie fable.

Nous sommes envahis, chacun étant libre de choisir le sien, sous des formes très diverses, de fables, de contes, de narratifs à dormir debouts. Quelques contes, grotesques parce que parfaitement grimmés, font suffisamment rire pour tenir éveillé. Ils n’endorment que qui veut. Chaplin savait le pouvoir du rire.

Dans les vraies fables — les anciennes — le langage clignote, ruse, désarçonne.
Chez Carroll, l’absurde est une alarme masquée.
Mozart, dans sa Symphonie des jouets, fait crisser la lucidité, grâce à deux sons qui résonnent dans la mémoire archaïque, dans le creux des oreilles enfantines.
Tout est jeu, mais tout y prépare à résister.

Une fable qui dit la sagesse de l’éléphant de l’Antonov – A124  à peau de requin et arête fractale

Le point de rencontre des contes à dormir debout, lorsqu’ils ont fini de déployer leur charme, leur convergence de lutte intestine, en quelque sorte, est le pacifisme béat qui finit dans les rues de Rome, aujourd’hui ou hier ou demain, par une foule conspuant la douce Georgia Meloni, demain  Keir Starmer au Royaume-Uni (Puissance dotée), en France (les carottes, ou les retraites, ou les deux, sont déjà cuites, semble-t-il) d’avoir souscrit les efforts demandés par « Daddy » à chaque pays au titre de notre défense commune.

Boooh, la vilaine!

Boooh, le vil Karmer qui livre les jeunes filles anglaises aux gangs pakistanais, l’hôpital et l’école à la charité budgétaire, et déshérite l’ensemble pour habiller l’Otan.

La petite musique qui s’infiltre par tous les pores que l’épiderme tendre de nos démocraties offre à notre ennemi y résonne par ces voix qui disent la sagesse de l’éléphant rose dans l’Antonov – An124 à peau de requin et arête fractale qui sillone, furtif comme une carpe, les eaux profondes, glacées et endormies de nos démocraties, comme je le crains dans toutes les autres profondeurs où son gigantesque appareil a pu, sous un jour ou un autre, s’engouffrer et opérer le calcul de son emprise.

Tout n’est pas tant politique qu’articulation de fables, dit sans connotation péjorative.

Il n’en faut pour preuve -autant donner le mot de la fin à une authentique créature de rêve, n’est-il pas? – que ce à quoi est suspendu le sort de Shéhérazade dans « Le Conte des mille et une nuits ».

Mais bien sûr, sous ses voiles transparents et aériens — que notre imagination l’habille comme d’un mythique parfum n°5 — Shéhérazade assume une fonction vitale. Et c’est pour cela que cette jeune fille, innocente, est choisie pour inventer et renouveler le récit. Pour coller indéfectiblement au Réel, car le Réel est la couronne du roi. Ce n’est qu’en apparence que c’est un ennui à tromper: c’est le pouvoir qui est en jeu dans le jeu du récit.

C’est l’éveil de l’esprit du roi dont Shéhérazade a, strictement, la charge. Il ne faut pas qu’il s’endorme, dans la volupté des caresses ou des draps.


Ce qu’il faut donc détailler, dans les plis du voile du conte, c’est l’injonction à demeurer éveillé. Au début, je pensais que le phantasme érotique était un paravant.

Mais, l’imbrication hélicoïdale est autrement plus justifiée. L’ondulation érotique n’est aucunement distractive ou ornementale. Elle dit avec une subtile volupté, que  la vie du Roi tient au fil ténu de l’éveil de tous ses sens et, en premier, de son sens cognitif.

Il se nourrit d’histoire, non pour se distraire, mais pour maintenir et reconnaître, donc, la vie en lui et toujours détromper l’imitation la plus parfaite et accomplie que porte l’autre fable.

De fait, dans le contexte des Mille et Une Nuits, Eros, expression de la vie, est croisé avec Thanatos, expression de la mort, et ensemble, dans ce tissage sublime, inscrit dans le Saint des Saints du subconscient, ils récitent ensemble:

Roi, il ne faut pas dormir. Peuple, il ne faut pas dormir.


Ce à quoi, dans l’Opéra, Nessum Dorma, fait un écho triomphal.

Nessum Dorma au pays de Sheherazade.

Celui qui dit ce qu’il dit

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*Il y en a tant, dans des champs si variés qui vont de Chaplin à Saint-Saens, à Tchaïvkosky, de Dysney à Marvel, – en passant leurs équivalents que je ne connais pas – qui ont dressé les fables pour faire déborder leur grâce enfantine hors de leur langage initial vers celui de la grâce et du mouvement. Ils doivent, dans toutes les langues, être remerciés. Ils permettent que se sauve le monde. Ouïr. Voir. Parler.