Le jeu des cris d’orfraie, des palinodies et des postures qui ne manqueront pas de s’amplifier à mesure que les gouvernements européens seront appelés à se prononcer sur l’accord Trump / von der Leyen doit être regardé pour ce qu’il est : au mieux une incompétence, au pire un alignement sur l’intérêt stratégique de Moscou.
On hurle au renoncement, à la capitulation tarifaire, à la soumission énergétique ou industrielle. Mais pendant ce temps, un fait demeure : le “verre plein”, ce sont 600 milliards de dollars d’équipements américains + environ 500 milliards d’euros d’effort de défense européen, mobilisés dans l’urgence d’une réorganisation stratégique occidentale.
En face, la Russie, avec une économie sous perfusion, annonce un plan de défense à 1 100 milliards de dollars, et prétend pouvoir le financer avec un baril fluctuant et des circuits logistiques fracturés.
Mais le Kremlin ne compte pas sur ses comptes. Il compte sur nos divisions, nos lenteurs, nos débats, et sur ce qu’il considère comme le syndrome européen de la paralysie morale.
> Ursula von der Leyen, pendant ce temps, a sécurisé un traité de partenariat stratégique renouvelé avec Pékin, incluant la stabilisation des flux commerciaux, la réaffirmation des normes climatiques, et des engagements sur la transparence technologique et les chaînes d’approvisionnement critiques.
Pendant que certains dénoncent – là aussi – une trahison, elle a posé les premiers jalons d’un encadrement du commerce avec la Chine — et les fondations matérielles d’un renforcement de l’OTAN.
Ce n’est donc pas un hasard si ses contempteurs habituels l’accusent d’avoir bradé la souveraineté.
> Elle n’a rien bradé : elle l’a matérialisée.
Elle l’a arrimée à du concret : de l’énergie, des équipements, des engagements croisés. Elle a, en somme, fait ce que la souveraineté exige en temps de guerre : préparer la paix, avec lucidité et détermination.
La capacité industrielle européenne de défense est-elle capable de contribuer, dès maintenant, à l’économie de guerre que la Russie nous impose ?
La réponse, pour être rigoureuse, doit être lucide, sans technocratie ni défaitisme.
L’économie de guerre n’est pas un choix : c’est un état de fait
> On continue de parler de “montée en puissance”, de “réarmement progressif”, de “soutien à l’Ukraine”. Mais il faut cesser les euphémismes : l’Europe est déjà engagée dans une économie de guerre par contrainte stratégique, que la Russie a, elle, assumée pleinement.
Le Kremlin a annoncé un plan de défense massif de 1 100 milliards de dollars d’ici 2028, soit plus que le budget cumulé de la plupart des membres de l’OTAN — et sans contrainte démocratique, industrielle ou sociale. Et ses relais européens ne se privent pas de vanter le défi insurmontable que cela représente.
⚙️ L’industrie de défense européenne : entre potentiel et goulets d’étranglement
L’Europe dispose d’une base industrielle de défense réelle, mais :
Elle est fragmentée, morcelée entre intérêts nationaux et contraintes budgétaires.
Elle est calibrée pour un temps de paix, ou tout au plus pour des opérations extérieures limitées.
Elle est incapable à court terme de produire à l’échelle que la situation exige, sauf à réorganiser d’urgence les chaînes de production, mutualiser la demande, et assumer une stratégie industrielle de guerre.
Ce que la Russie nous dicte aujourd’hui, ce n’est pas ce que nous pouvons faire. C’est ce que nous devons faire.
Ce que la Russie nous dicte aujourd’hui, ce n’est pas ce que nous pouvons faire. C’est ce que nous devons faire et c’est, exactement, ce que la présidente de la Commission Européenne, Ursula Von Der Leyen a scellé. Elle a scellé une capacité de répondre au monstre russe qui prétend nous imposer ses muscles sous testostérone.
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La réponse ne peut venir uniquement de l’importation
Le deal signé avec les États-Unis, qui prévoit 600 milliards de dollars d’achats d’équipements militaires sur trois ans, ne saurait être une solution durable. Il répond à l’urgence, il ne répond pas, c’est vrai, à la souveraineté pleine et entière telle que les vélléités d’abandon de Trump du traité pouvaient nous amener à la considérer.
> En l’état, l’Europe achète sa sécurité immédiate au lieu de la produire, faute de l’avoir anticipée. Mais cette sécurité a un coût : celui de la dépendance, celui du renoncement industriel, et — à terme — celui de la perte d’autonomie stratégique.
Mais le deal n’est pas seulement douanier ou logistique : il marque le prix du retour américain dans l’OTAN
L’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord est le plus célèbre : celui de la clause de défense mutuelle en cas d’agression armée.
Mais c’est l’article 2 qui structure l’alliance politiquement et économiquement. Il appelle les États membres à :
> “renforcer leurs institutions libres, assurer une meilleure compréhension des principes sur lesquels elles reposent, et favoriser les conditions de stabilité et de bien-être.”
Et surtout :
> “[…] éliminer les conflits dans leurs politiques économiques internationales et encourager le développement de relations économiques de coopération.”
Le deal UE–US à 15 % répond précisément à cette logique d’“élimination des conflits économiques” dans un but stratégique.
L’administration Trump a marchandé son retour dans la solidarité atlantique, mais il vaut mieux un marchandage perfectible qu’un abandon en rase campagne
Depuis 2016, Trump a menacé à plusieurs reprises de se désengager de l’OTAN, en critiquant violemment l’insuffisance des dépenses européennes.
En juin 2025, lors du sommet de La Haye, il pose comme condition à l’engagement américain une contribution européenne de 5 % du PIB, dont 1,5 % pour des achats de défense liés à des systèmes interopérables avec l’arsenal US.
Moins d’un mois plus tard, l’UE signe un accord :
-Douanier à 15 % (paix économique),
-Energétique (750 Mds $ d’achats),
-Militaire (600 Mds $ d’équipements américains),
Et en creux : une reconduction implicite de l’adhésion américaine à l’architecture OTAN.
Ce n’est peut-être pas tant un deal commercial que l’armature de reconduction stratégique.
Ce que cela signifie
> On ne réarme pas matériellement une Europe si l’on se retire stratégiquement de son dispositif de sécurité collective.
Le deal est donc une clé de réintégration de l’allié américain, au moment même où la Russie cherche à tester l’autonomie de l’Europe, militairement et cognitivement.
> Le réalisme impose de nommer ce qui est en train de se jouer : une économie de guerre dictée non par ambition, mais par nécessité.
Si l’Europe veut rester maîtresse de ses choix, elle doit passer d’un modèle d’économie de paix sous-traitée à une économie de guerre assumée. Cela suppose des priorisations budgétaires, des commandes groupées, des dérogations ciblées, et surtout, une vision politique qui accepte d’appeler le danger par son nom.
Conclusion – Appel au peuple européen
J’en appelle enfin au peuple européen, à sa lucidité et à sa mémoire.
À ne pas céder aux sirènes suaves du désarmement moral, qui aujourd’hui chantent sous le masque du réveil souverainiste, et demain demanderont qu’on se couche.
Ces voix-là, trop bien huilées, ne sont pas celles de la souveraineté : elles sont l’écho d’un piège. Elles désignent comme trahison ce qui est en réalité une reconquête rationnelle, méthodique, pas à pas, de notre capacité d’agir.
> Hercule, dit-on, se boucha les oreilles pour ne pas entendre les sirènes.
L’Europe, elle, doit ouvrir les yeux. Et choisir de ne plus être vulnérable.
Car la vulnérabilité des démocraties n’est pas une fatalité.
C’est une stratégie, exploitée par ceux qui nous veulent divisés, immobiles, désarmés. Elle peut — elle doit — prendre fin.
> Par la clarté, le courage, la constance.