Face à la Russie, l’Ukraine en voie de céder sa place en première ligne à l’UE

L’Ukraine ne peut rester indéfiniment le seul théâtre sacrificiel et les Européens ont leur mot à dire. A Kyiv, si un compromis doit émerger, deux lignes doivent rester intransigeantes: aucune reconnaissance internationale des annexions russes, et une garantie américaine sérieuse couvrant l’ensemble du spectre des agressions — militaires, cyber et cognitives. Ce cadre, s’il se met en place, ne rapproche pas la paix: il fait entrer l’Union européenne sur la première ligne stratégique, exposée directement à la phase suivante du conflit.


Les pourparlers qui se tiennent actuellement à Kyiv entre les émissaires américains et les équipes du président Zelensky — discussions où Washington chercherait à faire accepter un cadre de cessez-le-feu avec la Russie — marquent un tournant potentiel du conflit. Ils laissent entrevoir une architecture de compromis encore très imparfaite, mais deux points doivent, à mes yeux, demeurer absolument non négociables:

  1. L’absence d’acte international reconnaissant les annexions territoriales russes,
  2. Une garantie américaine couvrant l’ensemble des formes d’agression — militaires, cyber, informationnelles et cognitives permettant de sanctuariser la souveraineté de l’Etat Ukrainien.

Ces deux points permettent, s’ils sont tenus, d’économiser des vies humaines et d’éviter un passage de seuil qui se jouerait au prix du sang ukrainien.
Mais il serait illusoire d’y voir une paix: le conflit change d’échelle et, pour une durée que nous ne maîtrisons pas assez pour ne pas en tirer les conséquences immédiates, de forme. C’est ce qu’il faut comprendre. Nous devons l’accepter.

C’est notre intérêt. C’est notre intérêt, même si nous savons que la Russie ne renoncera pas à son plan. Elle déplacera simplement son effort: moins d’offensive frontale en Ukraine, davantage de pression diffuse sur les démocraties européennes — fragmentation politique, ingérences, manipulations, opérations d’influence, mise à l’épreuve de l’OTAN et des institutions européennes.

Et c’est précisément là que surgit une évidence que nous avons tardé à reconnaître: les désordres apparus dans nos sociétés depuis près d’une décennie — très nettement depuis le Brexit — ne sont pas des crises internes isolées.
Ils constituent les indices avancés d’une fragmentation déjà en cours, amplifiée par des stratégies extérieures.

Du Brexit et de la paralysie politique britannique, aux crises de gouvernance en Europe centrale, jusqu’aux tensions aiguës au Parlement français où Gouvernement et Assemblée peinent à résister à la pression combinée des sondages, des extrêmes, et des opérations d’influence: tout cela révèle un terrain vulnérable, travaillé en profondeur.

Le cessez-le-feu discuté à Kyiv, et qui, en 28 points négociés en catimini satisfait, a-priori, beaucoup des exigences de Moscou, n’est donc pas seulement la suspension d’une ligne de front territoriale: il met à nu l’autre front, celui qui traverse nos sociétés et nos institutions.
C’est l’Europe elle-même qui devient l’espace principal de la confrontation. Elle est visée.

Face à cela, les Européens doivent cesser d’être spectateurs de leur déclin moral et de leurs tergiversations politiques. Ils ne doivent plus se laisser attendrir par les berceuses émanant du Kremlin. L’Europe doit se mettre en ordre de bataille — non pour entrer en guerre, mais pour résister à celle qui lui est déjà faite, silencieuse, diffuse, méthodique.

C’est cela, se mettre en ordre de bataille.
Et c’est de l’ordre de bataille que surgit le génie de la bataille pas de sa désertion.

Si nous retrouvons notre intégrité politique, notre unité stratégique, notre vitalité économique et culturelle, alors le temps que Moscou pense avoir gagné, si l’accord de cessez-le-feu, est obtenu, peut devenir, paradoxalement, du temps décisif pour l’Europe. Sur ce terrain, si elle domine les sujets qui l’égarent, probablement parce que ‘ils sont posés pour provoquer ce résultat, elle est supérieure à la Russie, qui ne peut se prévaloir que de fausse foi pour masquer une nature qui la porte à la destruction.

Cette seconde phase, dans laquelle nous entrons aujourd’hui, marquée, simultanément, par le discours en France du Chef d’Etat Major, le général Maldon, et le communication gouvernementale sur le « kit de survie », oblige l’Europe à se reconnaître elle-même comme l’espace visé par la phase suivante du conflit.

Nous ne sommes plus des spectateurs ni des soutiens lointains: nous sommes déjà intégrés dans le périmètre stratégique de l’agression russe, que celle-ci le reconnaisse ou non.

C’est précisément pour cela que cette « cote », qui peut sembler mal taillée ou frustrante du point de vue ukrainien, ouvre une séquence de responsabilité pour les Européens, à laquelle ils ne doivent pas manquer.
Elle leur impose d’en tirer les conséquences d’intelligence:

  • se préparer à contenir la menace non plus seulement sur une ligne de front extérieure, mais au cœur de nos sociétés,
  • sécuriser nos institutions contre les infiltrations, la corruption, l’ingérence,
  • moderniser nos économies, nos industries de défense et nos infrastructures critiques,
  • et surtout, projeter une vitalité politique et civilisationnelle capable de résister à l’épreuve et contrer l’agresseur qui vient presque en pays conquis par les divisions qu’il y a cultivé, voire semé.

Nous entrons dans une phase où la question n’est plus seulement militaire: le vrai enjeu est de savoir si l’Europe se hissera au niveau de cette recomposition stratégique, pour transformer ce temps suspendu en moment de refondation, permettant d’aller vers la victoire, ou si elle laissera ce seuil se refermer sur elle.
À l’inverse, si nous restons immobiles, si nous refusons de voir la nature profonde de la menace et l’ensemble des ressorts sur lesquels s’appuyer, militairement et sur le plan civilisationnel, alors la défaite viendra à nous — et refermera de manière tragique la séquence ouverte par un siècle de guerres nées sur le sol européen.

La question de fond, ici, est celle de la souveraineté, mais pas celle des étendards fades. Celle des drapeaux vivants, comme « La Marseillaise » – notre hymne national – a su si bien en faire vibrer la fibre.
La souveraineté russe nie celle de l’Ukraine — puisqu’elle affirme que ce pays n’existe pas, ce qui est constitutif d’une volonté génocidaire — et elle cherche le meilleur modus operandi pour faire du statu quo militaire une victoire politique en maquillant ce moment d’une cosmétique de paix.

Les Ukrainiens ont défendu leur souveraineté avec une ardeur devant laquelle nous devons nous incliner. Mais la Russie ne s’arrête pas là : elle s’emploie, par mille moyens, à saborder la souveraineté des Européens, la souveraineté des Africains, et même la souveraineté américaine. Elle s’emploie à englober son espace politique, culturel et symbolique.

Car la souveraineté, la vraie, ne consiste pas d’abord en une frontière ou en un drapeau: elle consiste à décider, dans un monde qui change à chaque instant, ce par quoi et comment nous acceptons d’être transformés. C’est ce en quoi ce qu’elle a engagé est un combat existentiel pour chacun de nous et pour le devenir du monde, celui de la postérité.

La souveraineté de l’agresseur — celui qui rompt l’équilibre — se heurte nécessairement à la souveraineté de l’agressé: il cherche à l’écraser, à l’éteindre, à la convertir.
Et lorsque l’agresseur, pour masquer son geste, se proclame lui-même « agressé », comme le fait la Russie de Poutine, il tente simplement de rendre indistinct le point central: le droit de décider du type de transformation que l’on accepte ou refuse.

À ce titre, la guerre en Ukraine est déjà une guerre mondiale, non par l’extension géographique des combats, mais par la nature du choc des souverainetés qu’elle cristallise.
Dans un monde de post-vérité et de relativisme construit, la question devient: accepterons-nous d’être transformés par l’agresseur, ou par nous-mêmes répondant au défi que nous pose l’agresseur par ses ruses et infiltrations?

Si nous nous inclinons devant la brutalité et la perfidie de ce régime, alors, deux guerres mondiales monstrueuses, qui ont eues pour siège le sol européen, ne nous auront rien appris.

⚔️ Taking the War Out of the Cognitive Field

⚔️ Beyond Clausewitz: Rethinking Security in a Post-Conventional Era — the deeper challenge underlying tomorrow’s Peace Talks in Budapest.

If the war launched by Vladimir Putin’s Russia against Ukraine were purely territorial, it could be settled through conventional means — an exchange of land, a ceasefire, or a neutral status guaranteed by treaties.

But this conflict has carried us a thousand light-years away from Clausewitz.
The Prussian strategist described war as “the continuation of politics by other means.”
Yet Russia has transformed it into something else entirely: the continuation of politics through the confusion of means.

The battlefield is no longer the Donbas — it is the human mind itself.
This war has migrated into the cognitive field: into narratives, perceptions, emotional manipulation, and the corrosion of collective discernment.

It now unfolds across the entire planet — through social networks, media ecosystems, political discourse, economic leverage, and even cultural production.
It seeks not conquest, but disorientation; not victory, but the erosion of trust and coherence within democracies.

Hence, traditional security guarantees are no longer sufficient.
They must evolve beyond the military domain to encompass:

  • Cognitive protection of societies;
  • Information-space integrity, against manipulative and hybrid operations;
  • Psychological resilience within democracies;
  • Institutional trust as a strategic asset.

Conventional war destroys bridges.
Cognitive war destroys the bridges between minds.

Taking the war out of the cognitive field means restoring the primacy of truth, reason, and politics over narrative manipulation.
It also means redefining security itself as a global public good
for peace today is no longer merely the absence of war,
but the restoration of confidence in reality.

If the Budapest summit simply negotiates a territorial truce or freezes lines, we risk returning to a pre-Clausewitzian mindset. But if it boldly embraces this post-conventional dimension—saying: “We will rebuild the bridges between minds, not just the lines on maps”—it can mark a turning point in how the free world conceptualises war, peace and security.

President Vladimir Putin has already made clear — publicly and repeatedly — that Russia regards information operations as a legitimate and enduring instrument of statecraft. He used his address at the RT 20th-anniversary gala at the Bolshoi Theatre to praise RT’s role in challenging “monopolies” of narrative and to defend the idea of a louder Russian voice in the information space. Special Kremlin
That posture was reinforced in his Valdai Forum remarks, where he framed Western media and political moves as part of a wider confrontation and signalled Moscow’s intent to respond forcefully across political and informational domains. The Guardian

This is not a tactical quibble: it is existential. If the Budapest talks do not treat information warfare as a primary security dimension — and if they fail to secure concrete guarantees that the information domain will be demilitarised and neutralised — the conference will at best freeze a map and at worst leave the most dangerous front unconstrained. Therefore, it is vital, in terms of collective and even universal security, to crush this dimension in the egg: to make any peace settlement contingent on verifiable, enforceable mechanisms that eliminate state-led informational aggression and restore shared factual ground as the precondition for lasting peace.