À une époque où l’on ne sait plus qui agit pour qui — qui est le proxy, ou même le proxy du proxy — la souveraineté des nations ne se mesure plus seulement à leurs frontières ou à leurs armées. Elle se joue d’abord dans la souveraineté du renseignement et de l’analyse : la capacité à distinguer les faits des narratifs injectés, les preuves des montages, et à décider sans être happé dans l’engrenage d’autrui. Plusieurs signaux récents obligent, en effet, à la prudence
La cargaison du navire arraisonné en mer Rouge : côté israélien, certains ont évoqué des armes chimiques ; le CENTCOM américain, lui, a strictement parlé de missiles, de drones et de composants. Cette divergence de langage n’est pas anecdotique : elle montre comment le récit peut être ajusté selon les objectifs politiques.
L’affaire de Canberra : l’Australie a expulsé l’ambassadeur d’Iran et trois diplomates, accusant l’IRGC d’avoir orchestré des attaques antisémites. Officiellement, la preuve repose sur les enquêtes d’ASIO et de la police fédérale. Mais plusieurs indices suggèrent que l’affaire a pu être amorcée ou amplifiée par du renseignement américano-israélien — électronique, financier, voire lié aux flux crypto. Ici encore, la frontière entre sécurité nationale et fabrique du récit international s’efface.
Ces deux dissonances révèlent une constante : Israël dispose d’un avantage informationnel qui lui permet d’injecter des éléments narratifs, de guider les lectures et de transformer chaque incident en pièce supplémentaire du dossier à charge contre l’Iran.
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1. L’objectif stratégique israélien
Depuis deux décennies, Netanyahu poursuit un objectif immuable : entraîner les États-Unis dans une confrontation terminale avec l’Iran.
Après l’échec de la mobilisation sur le dossier nucléaire (Washington préférant sanctions et JCPOA à une guerre ouverte), Israël a choisi de multiplier les fronts : Houthis, Hezbollah, milices chiites.
Le but : démontrer que l’Iran est la matrice universelle du terrorisme, et contraindre les alliés à le désigner comme tel.
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2. La mécanique de l’engrenage
Chaque cycle suit la même logique :
1. Frappe israélienne (ex. : élimination d’un dirigeant houthis à Sanaa).
2. Riposte des proxys (Houthis, Hezbollah, etc.).
3. Attribution à Téhéran : présenté comme l’architecte de toutes ces menaces.
4. Pression sur les alliés : les États-Unis et l’ONU se retrouvent face au dilemme — condamner Israël ou reconnaître la culpabilité iranienne.
Ainsi, chaque incident renforce la centralité de l’Iran comme ennemi absolu.
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3. Le rôle du renseignement et l’asymétrie informationnelle
Israël possède un avantage décisif en SIGINT, traçage des flux financiers/crypto et influence médiatique.
Il peut fournir à ses alliés des “tips” orientés, amorcer des enquêtes, et colorer les conclusions.
Ce qui apparaît comme un dossier purement national (ex. Canberra) peut donc être le fruit d’une chaîne hybride, nationale dans sa forme, mais orientée en amont par des intérêts extérieurs.
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4. Le paradoxe russe
L’économie russe, sous sanctions, a un besoin vital d’un baril élevé pour financer sa guerre en Ukraine.
Une guerre ouverte contre l’Iran entraînerait une flambée des prix (détroit d’Ormuz, tensions régionales).
Objectif israélien et intérêt russe convergent donc : Netanyahu cherche à piéger Washington dans le conflit, et Poutine profiterait d’un choc pétrolier salvateur.
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5. L’axe Tel-Aviv–Moscou et la question de Washington
Un axe israélo-russe existe déjà : coopération militaire implicite en Syrie, absence de soutien à Kyiv, poids de la diaspora ex-soviétique en Israël (près de 20 % de la population, faisant du russe la troisième langue du pays).
Cet enracinement démographique et linguistique crée un pont intérieur qui lie Tel-Aviv à Moscou plus intimement qu’on ne l’admet.
La vraie interrogation n’est donc plus : « Existe-t-il un axe Tel-Aviv–Moscou ? » — il est établi.
Mais plutôt : Cet axe inclut-il, volontairement ou par engrenage, Washington ? Car si les États-Unis sont entraînés dans une guerre contre l’Iran, ce sera le vœu exaucé à la fois de Netanyahu et, en contre-jour, de Poutine.
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✅ Conclusion
Les dissonances récentes — cargaison ambiguë en mer Rouge, affaire de Canberra — rappellent qu’il faut faire preuve d’une circonspection extrême et que les narratifs et incriminations toxiques saturent l’atmosphère.
Israël ne cherche pas seulement à se défendre : il construit méthodiquement un récit où chaque menace converge vers Téhéran, afin de piéger les États-Unis et l’ONU dans une confrontation ultime.
Mais cette trajectoire, si elle s’accomplit, ne servirait pas seulement l’agenda israélien : elle exaucerait aussi celui de Moscou, pour qui une guerre avec l’Iran signifierait un pétrole cher et une survie économique prolongée.

